La fusion nucléaire pour sortir des énergies fossiles ?

Grand économiste du début du XXe siècle, Joseph Schumpeter fût le premier à proposer une vision dynamique de la croissance économique. Elle s’appuie sur l’idée de la « destruction créatrice » énonçant que toute innovation détruisant la technologie précédente est source de croissance.

La société préindustrielle était une société d’énergies renouvelables.

On se chauffait, on cuisinait et on s’éclairait au bois (biomasse), on moulait le grain grâce à l’hydraulique (moulin à eau) et l’éolien (moulin à vent), on se déplaçait sur les mers à la force du vent et à terre sur le dos d’un cheval nourri à l’avoine (biomasse). Hélas, cette société fut incapable d’offrir à nos aïeux la croissance économique nécessaire à leur développement.

Il s’agissait là de renouvelables « non technologiques ».

Aussi, durant une bonne partie du XIXe siècle, de grands scientifiques tentèrent de « techniciser » les énergies renouvelables : pile de Volta (batterie), électrolyse de Nicholson (production d’hydrogène vert), voiture électrique de Stratingh, pile à combustible de Schönbein, effet photoélectrique de Hertz (ancêtre du panneau photovoltaïque), utilisation d’huile d’arachide et d’alcool (bicarburants) dans les premiers moteurs thermiques.

Bien que la plupart des technologies renouvelables aient été découvertes avant la fin du XIXe siècle, nos illustres ancêtres ne les ont jamais industrialisées, considérant le charbon, puis le pétrole et le gaz bien plus efficaces pour assurer leur développement. Dans le jargon Schumpeterien, les énergies fossiles apparaissent donc comme la « destruction créatrice » des énergies renouvelables.

La croissance verte cherche à inverser le processus et à faire des énergies renouvelables la destruction créatrice des fossiles : mission impossible.

Fut-elle propre et renouvelable, une énergie non pilotable comme le solaire ou l’éolien (réserves infinies à l’échelle humaine) ne peut être destruction créatrice d’une énergie pilotable, même si cette dernière n’est pas renouvelable (consommatrice de ressources naturelles finies) et émettrice de CO2. Seule une énergie pilotable, renouvelable et non émettrice de déchets pourrait être destruction créatrice des fossiles.

 

Mais cette énergie existe-t-elle vraiment ?

Le nucléaire de seconde (réacteurs actuels à eau pressurisée et à neutrons lents) et de troisième (EPR) génération est pilotable et n’émet pas ou très peu de CO2.

En revanche, il est consommateur de ressources naturelles (uranium235) contenues en quantités limitées dans l’écorce terrestre et il génère des déchets radioactifs (uranium appauvri et plutonium) qu’il faudra traiter, voire entreposer durant plusieurs millénaires dans des stockages géologiques. Il ne coche donc pas les cases de la destruction créatrice.

Le nucléaire de quatrième génération (surgénération à neutrons rapide) utilise du plutonium239 (n’existant pas à l’état naturel, mais fabriqué directement dans le réacteur à partir d’uranium238) comme matériau fissile. L’uranium238 étant 140 fois moins rare que l’uranium235, le combustible nucléaire deviendrait de ce fait pratiquement inépuisable à l’échelle humaine. À ce jour, il n’existe que trois surgénérateurs : deux en Russie de 560 et 820 MW et un expérimental de 20 MW en Chine près de Pékin. La France fut pourtant pionnière en la matière avec le prototype Superphénix (puissance de 1,2 GW). Mis en service en 1986, il fût définitivement abandonné par le gouvernement de gauche plurielle de Lionel Jospin. Superphénix renaquit de ses cendres en 2006 avec le projet ASTRID (600 MW). Avec les mêmes arguments, les Verts eurent la peau d’ASTRID en 2018.

Petit frère de l’uranium238 avec des ressources naturelles 4 fois supérieures, le thorium232 est un autre élément se prêtant à la surgénération nucléaire. S’il n’existe pas aujourd’hui de surgénérateur au thorium dans le monde, la Chine vient d’annoncer la mise en service d’un prototype expérimental. Pour être développée à une échelle industrielle, cette filière prometteuse nécessitera encore de nombreuses années de recherches et d’investissements. La France, dont le granite de Quintin en Bretagne contient d’abondantes réserves de thorium, n’a malheureusement aujourd’hui aucun projet de surgénération au thorium dans ses cartons.

 

Le Graal de la perfection se trouve dans le cœur du soleil

Une fois de plus, l’Europe obsédée par un « Green Deal » purement moral fait fausse route.

Alors que les réacteurs à neutrons rapides français ont été reportés aux calendes grecques, les grandes puissances nucléaires (Chine, Russie, États-Unis, Inde) s’engagent sur cette voie qui coche presque toutes les cases de la destruction créatrice des fossiles : ressources pratiquement infinies (et donc renouvelables) et bien moins de déchets hautement radioactifs.

Le Graal de la perfection se trouve dans le cœur du soleil : c’est la fusion nucléaire.

Alors que la fission (classique ou surgénération) cherche à produire de l’énergie en cassant un gros atome fissile (uranium, plutonium, thorium), la fusion cherche au contraire à combiner deux atomes légers, (deux isotopes de l’hydrogène – deutérium et tritium) pour produire un atome plus lourd (de l’hélium) tout en libérant des neutrons.

Comparée à tous ses confrères énergétiques, la fusion nucléaire coche toutes les cases de l’énergie parfaite : elle est pilotable et n’émet pas de déchets (l’hélium n’est pas radioactif). Par ailleurs, compte tenu des réserves quasi illimitées de deutérium dans l’eau de mer et des quantités substantielles de tritium pouvant être produites par irradiation du lithium, la disponibilité en combustibles serait assurée pour plusieurs dizaines de milliers d’années. La fusion nucléaire pourrait donc être considérée à l’échelle humaine comme une énergie renouvelable. Enfin, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une réaction en chaîne, un dysfonctionnement du réacteur arrête immédiatement le processus. La fusion élimine toutes les externalités négatives de la fission : ressources, déchets et risque d’accident majeur.

Installé près de Cadarache dans la vallée de la Durance, le projet ITER vise à démontrer la possibilité de produire de l’électricité nucléaire à partir de la fusion. ITER pourrait libérer pour quelques millénaires l’humanité de sa geôle énergétique, pérenniser la société de croissance et renvoyer aux oubliettes les passions tristes des collapsologues décroissantistes.

Hélas, les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis dix ans, l’humanité a investi 5000 milliards de dollars dans les renouvelables contre moins de 20 milliards de dollars dans ITER. Sans commentaires !

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4 réponses

  1. “”””””””””””Par ailleurs, compte tenu des réserves quasi illimitées de deutérium dans l’eau de mer et des quantités substantielles de tritium pouvant être produites par irradiation du lithium, la disponibilité en combustibles serait assurée pour plusieurs dizaines de milliers d’années”””””””””””
    Le lithium , futur avenir de l’humanité et de l’Alsace
    https://www.francebleu.fr/emissions/la-nouvelle-eco-en-alsace/lithium-en-alsace-la-ruee-vers-l-or-blanc-5477047
    Salut Phillippe ; du fossile il en reste pour des dizaines d’années et il sera utilisé jusqu’à la dernière goutte bulle ou pelletée et merci à Mr Pouyané de continuer les recherches pétrolières , même s’il fait un effort pour le renouvenable

  2. Que peut faire l’humanité sinon essayer d’utiliser la nature dans laquelle le sort l’a plongé? Le soleil et la Terre ont existé avant lui, elle a exploité les phénomènes naturels qu’elle découvrait. Elle s’espère encore éternelle et ne voudrait donc disparaître qu’à la fin de l’Univers. Cette quête d’éternité concerne chacun d’entre nous! Mais parmi nous beaucoup trouvent que l’humanité précipite par ses actions la fin de notre monde. Quand nous n’utilisions que des ressources dites renouvelables, ces dernières ne dépendaient que du soleil et de sa durée de vie et nul n’imaginait sa fin: Renouvelable ou pas? C’est la hantise de la fin de l’humanité qui tenaille l’esprit de l’écologie! C’est la confiance dans l’inventivité de l’Homme qui donne confiance aux partisans de la technologie pour assurer son avenir.

  3. Comme suite à la précieuse réflexion de Terrier Marcel.
    Notre civilisation n’est pas arrivée à sa fin comme le pensent les mauvais prophètes. Bien au contraire, nous sommes au début d’un chemin qui nous permettra même de nous évader de notre planète, grâce à la science et la physique, de passer à une autre étape que les malheureux “fossiles” ou “renouvelables”, et en tout cas bien au-delà des petites contingences obscures que nous annoncent les esprits chagrins. Ce n’est pas en retournant au mode de vie d’avant-guerre que nous en sortirons mais bien au contraire en poussant la recherche scientifique. Il est navrant d’avoir à le rappeler, notamment à une partie de notre jeunesse au cerveau lavé et à la formation scientifique douteuse.

    Au-delà de GAIA, beaucoup pensent à l’inverse que nous avons une vocation élargie, voire galactique.

    Les civilisations galactiques se classent en trois catégories (échelle de Kardachev) :
    classe I : les civilisations qui utilisent l’énergie de leur planète,
    classe II : les civilisations qui utilisent l’énergie de leur étoile,
    classe III : les civilisations qui utilisent l’énergie de leur galaxie.
    Nous n’en sommes bien sûr qu’au premier stade, nous utilisons après le bois, l’eau, le vent, le gaz, le charbon, le pétrole, l’uranium, le plutonium, bientôt le tritium, le deutérium, l’hélium3 (abondant sur la lune)…
    Mais les autres stades viendront vite de par la loi de l’accélération de la vitesse d’acquisition des connaissances.
    Il y a évidemment bien d’autres sources d’énergie connues que les fossiles. Déjà il y a le nucléaire. Avec les surgénérateurs et notre réserve d’uranium appauvri nous avons des milliers d’années d’électricité devant nous. Sans parler de la fusion (avec H3, D2, et He3 évoqués plus haut).

    Mais sans vouloir verser dans la science-fiction, on doit s’attendre aux futures avancées de la physique. La prochaine avancée significative sera la manipulation de notre espace-temps dont le principal bénéfice sera le transport sous antigravitation et le voyage en bulle spatio-temporelle. Mais ceci mériterait un plus long développement qui dépasse le cadre du climat.

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