Ce 1er septembre, Fessenheim expire, et voilà l’addition

Nous publions ici un texte lu par un réprésentant de la CFDT devant les membres du Comité Social et Economique (CSE) de la centrale de Fessenheim rassemblés pour la dernière fois, au début de l’été, incluant le Directeur d’unité, membres de la direction, représentants du personnel et syndicaux, mais en l’absence de représentants du gouvernement et de la presse.

L’addition

« 31 août 2023, dernier jour d’existence du CNPE Fessenheim : Centre nucléaire de production d’électricité. Dernier jour après plus de quarante ans d’exploitation. Et pour ce dernier CSE, nous n’allons pas faire un “bilan”… nous allons vous présenter la note. L’addition. Aujourd’hui, quarante années s’achèvent par la destruction de cet outil de production, dans une indifférence à peu près générale. Seuls les antinucléaires s’en frottent les mains… Mais ont-ils un cerveau ?

2020, arrêt des deux réacteurs de Fessenheim, la France perd 1 800 MW d’énergie non carbonée. L’issue d’une décision prise par un gouvernement qui avait besoin des antinucléaires pour arriver au pouvoir, et confirmée par un autre gouvernement qui n’en avait pas besoin… Ont-ils progressé, vingt ans après la décision de détruire Superphénix, point d’orgue d’une saga politicienne lamentable qui dura plusieurs années ? Avec Superphénix, disparaissaient 1 200 MW. Avaient-ils un cerveau ?

Fessenheim et Superphénix totalisent donc aujourd’hui 3 000 MW manquants sur le réseau. Mais ce n’est pas tout ! En vingt ans, combien de centrales thermiques ont été détruites ? Vingt-six, au total. Les voici :

2003 : Le Havre, 125 MW

2004 : Montereau, 750 MW, Loire-sur-Rhône, 250 MW

2005 : Champagne-sur-Oise, 250 MW, Vaires-sur-Marne, 500 MW

2006 : Pélissier, 250 MW

2009 : Martigues, 250 MW

2011 : Martigues, 250 MW

2012 : Le Havre, 250 MW, Martigues, 250 MW

2013 : Gardanne, 250 MW

2014 : Le Havre, 125 MW, Blénod, 500 MW.

2015, hécatombe : Saint-Avold, 468 MW, Hornaing, 250 MW, Lucy, 270 MW, Bouchain, 250 MW, Le Havre, 330 MW, La Maxe, 500 MW, Vitry, 500 MW

2016 : Aramon, 1 400 MW

2017 : Cordemais, 700 MW, Porcheville, 2 400 MW

2018 : Cordemais, 700 MW

Soyons honnêtes, 2018 voit également la mise en service d’une unité de production sur Gardanne 4 : 150 MW de biomasse pour remplacer les 250 détruits cinq ans plus tôt. Et n’oublions pas, ironie de l’histoire, la mise en service de Datteln 4 en 2020 chez nos amis allemands, champions internationaux de la transition énergétique – eux aussi ont un cerveau – avec ses 1 100 MW du pire charbon de la terre, le lignite, qui vient “avantageusement” remplacer les 1 800 détruits à Fessenheim.

Mais ce n’est pas fini…

2021 : Gardanne 5, destruction de 595 MW

2021 : Le Havre, 600 MW – Centrale détruite après y avoir investi 160 millions d’euros. Faut-il qu’on ait un cerveau !

Enfin, 2022 : mise à l’arrêt de Saint-Avold, 1 478 MW. Et la bonne blague, c’est de l’avoir redémarrée six mois plus tard à cause de la crise de l’énergie… Certaines blagues, cependant, ne sont pas vraiment drôles. Il est certain qu’avec un tout petit peu de cerveau, on aurait pu se douter qu’à force de détruire des moyens de production, nous allions manquer d’énergie…

Soyons honnêtes jusqu’au bout, les centrales au charbon et fuel mises à l’arrêt ont été remplacées par des centrales moins polluantes : cycles combinés gaz (et comme il s’agit de “gaz naturel”, ça sonne écolo !), turbines à combustion (on ne dit plus “turbine à gaz”, le mot faisait sale…), et biomasse (dès qu’on met “bio” dans un mot, cela devient la panacée, comme si la biomasse ne produisait pas de gaz à effet de serre…). Au total, 14 698 MW détruits et 5 812 MW moins polluants créés, n’importe quel enfant de 7 ans peut vous dire que le compte n’y est pas.

Donc, aujourd’hui, 3 000 MW non carbonés sont absents du réseau pour des raisons politiciennes, et 9 000 MW de thermique à flamme sont absents du réseau. 9 000 MW, détruits au nom de quoi ? De l’écologie, parce que comme chacun sait, le charbon, ça pollue… À quoi bon avoir un cerveau, si c’est pour s’arrêter à cette découverte ?

Tout le monde sait que le charbon, “ça pollue”… Par contre, peu de gens savent de combien ça pollue. En 2003, la production électrique des centrales à charbon représentait 4 % de la production annuelle d’EDF… Ça ne polluait donc pas beaucoup, mais c’était présent quand on en avait besoin. Et peu de gens savent que si l’ensemble des producteurs fournissent 99 % de la demande, le petit 1 % manquant fait s’écrouler l’ensemble du système. Il n’y a plus de marge, d’où l’actuelle crise de l’énergie, actuelle mais durable.

Peu de gens ont compris que la bonne question, ce n’est pas de savoir si le charbon pollue… La bonne question, c’est de savoir s’il pollue plus ou s’il pollue moins que ce que l’on va mettre à la place. Or, l’année 2022 est celle du début de la crise de l’énergie (crise qui, rappelons-le, a commencé avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie) et dès l’annonce de possibles coupures, les grandes surfaces de bricolage ont été dévalisées de leurs groupes électrogènes… 12 000 MW de nucléaire et de charbon détruits, pour brûler quoi à la place ? De l’essence. A-t-on un cerveau ?

Cela fait vingt ans qu’on nous fait croire que le nucléaire est une énergie du passé, qu’il faut faire une “transition” vers les énergies du futur, dites “renouvelables”. Quand on sait qu’une éolienne produit 20 % de son temps… Si mon boulanger était alimenté par une éolienne, il ferait du pain le lundi, mais pas le mardi, pas le mercredi, pas le jeudi ni le vendredi. C’est cela, 20 % du temps. C’est cela l’énergie de “l’avenir”…

Quant au photovoltaïque, n’importe quel enfant de 5 ans peut vous expliquer que la nuit, il n’y a pas de soleil, et bizarrement, la nuit, c’est là qu’on allume les lumières… Il faut savoir que le 10 janvier 2023, l’Assemblée nationale adoptait en première lecture un projet de loi pour monter la puissance installée en éolien à 40 000 MW – pour comparaison, la production nucléaire, c’est 63 000 MW – et en photovoltaïque à 80 000 MW. Ont-ils un cerveau ?

Honte

Comment peut-on vivre dans une société assez immature pour tuer la planète à petit feu sans avoir honte ?

Comment ne pas avoir honte des gouvernements successifs qui ont tué l’industrie française, vendu notre patrimoine et nos richesses à des intérêts étrangers – rappelons par exemple la lamentable affaire Alstom, vendue à nos “amis” américains, et ce n’est qu’un exemple. Pour rappel, en 2013 – il y a seulement dix ans –, la France était la 5e puissance économique mondiale, en 2018, elle était la 6e, en 2021, la 7e… et cela ne va pas s’arrêter. En tout cas, ce n’est pas en tuant la filière nucléaire que l’on retrouvera de la richesse…

Et ne soyons surtout pas naïfs sur une prétendue “relance du nucléaire en France”. La politique énergétique d’un pays comme le nôtre se conçoit à 50 ans minimum, 100 ans dans l’idéal ; pas à 5 ans, durée d’une mandature présidentielle, et encore moins 5 mois, durée d’une campagne électorale. Alors une “relance du nucléaire” qui a pour coup d’envoi l’arrêt d’une centrale nucléaire, c’est d’une ironie douteuse…

Comment ne pas avoir honte de la direction d’EDF qui n’a pas su empêcher ce désastre ? Elle s’est battue pourtant, mais s’est-elle battue avec assez de conviction ? Ou bien s’est-elle accommodée de changements soi-disant “inéluctables” ? L

e slogan des années 1970, c’était “en France on n’a pas de pétrole mais on a des idées”. C’est sur cette idée qu’on a construit le plus grand parc nucléaire au monde. Dans les années 1990, on commençait à détruire des moyens de production. En 2007, la grande idée a été de vendre notre production à prix coûtant à nos concurrents, pour qu’ils puissent nous prendre nos clients… d’où l’apparition d’une multitude de vendeurs d’électricité qui n’ont fait que s’enrichir sans rien produire, sur le dos d’EDF, c’est-à-dire sur le dos des Français. En biologie, on appelle cela des parasites. Rappelons qu’en 2013, il y a seulement dix ans, les particuliers payaient le kWh d’EDF 12 centimes, aujourd’hui 22. N’est-il pas temps de demander des comptes à tous les puissants cerveaux qui ont conduit à cette situation ?

Face aux antinucléaires, EDF s’est-elle battue avec assez d’énergie ? Sa direction de la communication a-t-elle été à la hauteur des enjeux ? Quand on sait qu’aujourd’hui, et pour encore plusieurs décennies, seule l’énergie nucléaire aurait une chance de sauver le monde de la surchauffe… et la direction de la communication n’a pas été capable de faire comprendre cela ? Elle s’est bornée à remplacer les gobelets en plastique par des mugs, et à nous faire réaliser la Fresque du climat.

Comment peut-on faire la Fresque du climat et s’en satisfaire, sans avoir honte ?

Comment a-t-on pu présenter le plan de sobriété du groupe : “Bien éteindre sa lumière, travailler à deux dans le même bureau pour gagner 10 watts d’éclairage, bien débrancher ses appareils en veille”… On a détruit 1 800 MW, mais on va les compenser en débranchant nos cafetières ? Comment peut-on compter les pulls en laine et installer des thermomètres dans les bureaux sans avoir honte ?

Bien sûr, tout le monde peut se dire que nous n’avons pas à avoir honte des conséquences d’une fermeture que nous n’avons pas voulue, que nous avons même combattue. C’est vrai, et d’ailleurs il serait faux d’accuser la direction du site de complaisance, parce que cela n’a pas été le cas. Au passage, on peut noter qu’elle a fait des efforts importants en ce qui concerne le plan social – quand c’est bien, il faut le dire. Alors que lui reproche-t-on ?

La direction n’a pas été complaisante quant à la fermeture du site, c’est vrai, mais elle s’en est accommodée. En passant rapidement de l’indignation aux “grands enjeux industriels”, en affichant fièrement à l’entrée du site “Réussir la transition vers le démantèlement en toute sûreté et sécurité” – transition, quel mot bien choisi !

En somme, c’est un peu comme un enterrement : après, “il faut que la vie continue”, et on s’en est accommodé.

Comment ne pas avoir honte ?

 
 
 

Le 1er septembre 2023, le Centre nucléaire de production d’électricité de Fessenheim perdra définitivement son existence légale, le site passera alors sous le contrôle du service de démantèlement. Fessenheim expire, et voilà l’addition. Qui va la payer ? »

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