(De MARIE ZEKRI dans National Geographic du 22 JUIN 2023)
Si le pourcentage de Français niant la réalité du changement climatique ne progresse pas, un récent sondage tend à montrer que l’origine humaine de ce changement est de plus en plus remise en question.
« L’ampleur de la catastrophe est telle que beaucoup de gens sont en état de sidération. Ce qui vient alors à l’esprit, c’est de se dire que la nature est devenue folle »,
UNE REMISE EN QUESTION DE LA RESPONSABILITÉ HUMAINE
Cette récente enquête, produite par l’Observatoire International Climat et Opinion Publiques (EDF et Ipsos), traite depuis quatre ans des données statistiques établies auprès de trente pays, abritant les deux tiers de la population mondiale et figurant parmi les pays les plus polluants.
L’étude de l’année 2022 révèle une montée du sentiment d’être témoin du changement climatique, notamment en France, suite aux fortes sècheresses de l’été 2022. Ces évènements climatiques impressionnants, des feux de forêt jusqu’en Bretagne en passant par des pénuries d’eau, ont marqué les Français. Les fortes chaleurs (79 % | + 9 points vs 2021), la sécheresse (62 % | + 19 points vs 2021) et l’assèchement des cours d’eau (51 % | +16 points vs 2021) provoquent une montée de 5 points du sentiment d’être confronté.e au changement climatique.
« Quand on a vu ce qui s’est passé pendant l’été 2022, […] on s’est dit qu’il allait y avoir une montée incroyable de l’inquiétude des gens, et un renforcement du sentiment que les activités humaines ont induit un certain nombre de dégâts », confie Daniel Boy. « Or, ce n’est pas le résultat que nous avons obtenu. »
En un an, la vague climato-sceptique aurait progressé de 8 points en France. On compte 37 % de climatosceptiques dont 29 % considèrent qu’il y a un changement climatique mais pas d’origine humaine ; c’est la plus forte augmentation de ce sondage. Une grande partie de la population française remettrait en question la responsabilité humaine de la crise actuelle. Sur les trente pays sondés, la France est le sixième pays dans lequel le doute sur l’origine humaine du changement climatique a le plus augmenté.
« Nombreuses sont les personnes interrogées qui considèrent que ce phénomène résulte d’un processus naturel, qu’il est inévitable et finira par se réguler », explique Didier Witkowski, directeur d’études pour EDF, également co-directeur de l’étude. « Cette explication du changement anthropique recule depuis quatre ans. »
QUI SONT LES CLIMATO-SCEPTIQUES ?
Le contexte économique, géopolitique et social influence fortement la manière de considérer l’urgence environnementale. Les retombées de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine sur l’économie mondiale ont des effets directs sur le quotidien des populations, plaçant l’inflation en première position des préoccupations dans l’ensemble des pays sondés.
Globalement, l’urgence environnementale dépasse les enjeux de croissance et d’emploi. Mais cette majorité, qui était de 53 % pour l’environnement en 2019 contre 34 % pour la croissance, se réduit et passe en 2022 à 48 % contre 38 %. Les auteurs de l’étude considèrent ainsi que « les difficultés économiques freinent le virage environnemental ».
En France, les personnes se définissant comme climato-sceptiques sont principalement issues des classes populaires. La fin du mois supplante souvent la fin du monde. Devançant la question environnementale sur tous les continents, l’inflation est la première urgence dans l’opinion publique. Le coût de la vie est le point le plus préoccupant pour 62 % des personnes interrogées. Le changement climatique figure en 2e position (44 %) chez les ménages les plus aisés, juste après l’augmentation du coût de la vie. Pour les ménages les plus modestes la préoccupation principale est l’inflation. Viennent ensuite les problématiques sociales. Le changement climatique n’apparaît qu’en 6e position (36 %), devancé par la pauvreté et les inégalités (49 %), le chômage (44 %), le système de santé (41 %) mais aussi la corruption (39 %).
(DÉS)INFORMATION
La couverture médiatique régulière du changement climatique reste relativement récente. Pour Daniel Boy, « le degré d’alerte catastrophiste » pourrait expliquer le postulat des nombreuses personnes qui font le choix de la déculpabilisation.
« L’idée qu’il faut agir [vite] produit pour une partie de la population un réflexe de dénégation. »
David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS et au centre d’analyse et de mathématiques sociales de l’EHESS, s’est intéressé dans un chapitre de l’Obs’COP 2022 à la montée du scepticisme sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter et TikTok. Les phénomènes d’entre-soi créés par les réseaux sociaux enferment les utilisateurs, qui sont sans cesse exposés aux mêmes contenus. Les sources sont moins diverses et les points de vue moins variés.
« Vous avez donc statistiquement plus de risques d’être exposés à un contenu climatosceptique si vous vous informez principalement sur les réseaux sociaux » souligne Didier Witkowski.
Si l’on étudie ces opinions diverses sur le changement climatique, c’est parce que les faits nous forcent à nous interroger sur la manière nous allons parvenir à « vivre avec ». On observe alors des stratégies de négation, d’acceptation et d’action. Les tendances de déresponsabilisation pourraient compromettre la mise en place de politiques publiques d’envergure.