La science a dit… ! Mais quelle science ?

(Par CHRISTIAN LÉVÊQUE dans Factuel du 

L’idée selon laquelle la science est le garant de la « vérité » parce qu’elle est rationnelle est assez largement répandue. Dans les débats, on voit souvent brandir ces arguments d’autorité : « La science nous dit » ou « il y a consensus parmi les scientifiques pour dire que… » ou encore « il est prouvé scientifiquement que… », laissant ainsi penser que la science ayant parlé, la messe serait dite. Et pourtant, cette même société qui la plébiscite quand cela l’arrange est également très critique par rapport aux applications qui en découlent, comme on l’a vu à propos des OGM.
 
Pourtant, cette image d’Epinal d’une science au-dessus de la mêlée, capable de dire le vrai et le faux, est loin d’être le reflet de la réalité de la démarche scientifique, et traduit une profonde méconnaissance du fonctionnement du monde de la recherche. Ma longue expérience de ce domaine m’a appris que la science est faite par des hommes qui, comme les autres, ont eux aussi leurs croyances, leurs partis-pris, et leurs egos.
 
Ce n’est pas sans raison que le sujet de l’intégrité scientifique a connu un regain d’intérêt en France, avec la publication en 2016 d’un rapport remarqué sur la question par le Pr Pierre Corvol, qui faisait état de différentes « méconduites », un terme poli pour parler de fraude ou de manipulations des données. Ce rapport a été jugé suffisamment pertinent pour donner lieu à la création de l’Office français de l’intégrité scientifique (OFIS) [1]. Ce n’est pas sans raison non plus que les instituts de recherche se dotent de comités de déontologie. Il ne s’agit pas disant cela d’accabler la recherche, car les cas de méconduites caractérisés ne sont pas légion, mais ils existent. Les plus connus concernent les travaux sur les effets du tabac, financés par les cigarettiers.
 
Mais la question de la croyance en la science ne réside pas là. Il faut remonter au scientisme, cette attitude apparue au XIXème siècle, qui affiche une entière confiance en la science et ses résultats, seule source fiable de savoir [2]. Seules les connaissances scientifiques éprouvées peuvent être réputées sûres, par rapport aux spéculation philosophiques et aux dogmes religieux. Dans le contexte de l’époque, il était important de bien marquer l’indépendance de la science naissante par rapport à la théologie chrétienne et à la pensée magique. On a donc forcé un peu le trait, mais l’idée de la rationalité de la science a perduré.
 

On parle beaucoup en science de « paradigme », qui est, à un moment donné, un corpus de connaissances et de théories partagé par un groupe de scientifiques pour expliquer un phénomène. De fait, le paradigme n’est pas la « vérité ». C’est la meilleure interprétation proposée, à une époque donnée, compte tenu de l’avancement des connaissances et des moyens techniques disponibles. C’est pourquoi on parle également fréquemment de « changement de paradigme », c’est-à-dire une modification, parfois profonde, de la manière d’interpréter un phénomène.

Le consensus scientifique ne ferme pas la porte 

Oui il peut y avoir consensus temporaire sur un sujet, mais ce consensus ne signifie pas que la porte est close. La « réfutabilité » ou « falsifiabilité » consiste à mettre à l’épreuve les hypothèses reconnues, de manière à tester leur solidité [3]. Une hypothèse est réfutable si elle ne résiste pas à de nouvelles observations ou aux tests expérimentaux.

Autrement dit, la vérité scientifique est en permanence remise en cause, non pas pour dire que la science se trompe, mais pour tester sa pertinence et son universalité, à la lumière de l’avancement des connaissances. La « vérité » scientifique se construit donc sur un mode permanent de mise à l’épreuve, ce qui suppose, et c’est là un point de débat majeur de nos jours, que l’on reconnaisse la nécessité d’un débat contradictoire, et que l’on ne cherche pas à imposer le discours d’une science officielle.

Cette question de la validité des hypothèses est particulièrement délicate quand on s’adresse, comme c’est le cas dans le domaine de l’écologie et de l’environnement, à des systèmes complexes, hétérogènes et dynamiques. Dans un tel contexte la quête de la connaissance et la recherche de causalités est un exercice difficile puisque l’on a affaire à des univers multi-causaux, qui supposent observations, expériences, contre expériences, interprétations et démonstrations… Ce qui entraîne souvent des interprétations divergentes, et une remise en cause des premières hypothèses explicatives qui ne se fait pas sans réticences ! On pourrait prendre de nombreux exemples pour illustrer ces propos, mais celui de la théorie de l’évolution est emblématique.

Il y avait consensus au XVIIIe siècle pour dire que le monde avait été créé par Dieu. Les savants ne remettaient pas en cause le dogme créationniste et Linné, le savant suédois qui a introduit la classification binomiale des êtres vivants, disait clairement qu’il réalisait l’inventaire de l’œuvre de Dieu. Buffon soutenait également que Dieu était le créateur de toutes choses. Et ceux qui pensaient le contraire risquaient l’excommunion.

Darwin a proposé sa théorie de la sélection naturelle en 1864, à une époque où la croyance en la Création était encore vivace. Sa théorie évolutionniste entrait aussi en concurrence avec celle de Lamarck, qui privilégiait l’hypothèse de la transmission des caractères acquis, et les scientifiques ont été longtemps partagés sur cette question. La théorie darwinienne a mis des décennies avant d’être adoptée, et ce n’est qu’en 1964 que le pape a reconnu qu’elle était plus qu’une hypothèse. Avant cela, il y a eu des conflits durs et sévères avec l’église anglicane, dont le célèbre débat d’Oxford (entre le professeur Thomas Huxley, défendant les idées de Darwin, et l’évêque anglican Samuel Wilberforce), ainsi qu’avec des confrères, dont certains privilégiaient la théorie de Lamarck.

Si cette théorie semble maintenant faire consensus, ce n’est qu’en partie vrai. Car Darwin, pas plus que Lamarck, ne connaissaient la génétique apparue plus tard, avec des lois publiées en 1866 par le moine Gregor Mendel, et redécouvertes en 1900. Il n’avait donc pas pu démontrer les mécanismes de l’hérédité des variations. Depuis, la théorie de Darwin a été reprise en main et modifiée par les généticiens qui l’ont fondée sur les nouveaux apports de la biologie, de la géologie et des mathématiques, pour devenir le néo-darwinisme ou la théorie synthétique de l’évolution. Depuis les années 1970 une partie de la théorie synthétique a été de nouveau remise en cause par la paléontologie, et notamment les travaux de Stephen Gould. Avec l’épigénétique, on pense aussi que la théorie de Lamarck avait une part de vérité !

Un autre exemple bien connu, sur lequel je ne m’étendrai pas, est celui de la théorie des continents, exposée par Wegener en 1912, et que sa communauté scientifique a écartée… avant qu’elle ne devienne la théorie de la tectonique des plaques, dans les années 1960 ! On pourrait aussi parler de la théorie de l’East Side Story, popularisée par Yves Coppens. Et que penser du spectacle des explications contradictoires auxquelles d’éminents scientifiques ont contribué lors du dernier épisode Covid. On ne sait toujours pas l’origine de cette pandémie, mais on y a vu le retour de la pensée magique quand des militants, encouragés par des scientifiques, ont émis l’hypothèse que la nature se vengeait des exactions que nous lui faisons subir !

Ce que l’on doit retenir, c’est que depuis la croyance en la création, partagée par les savants du XVIIIème siècle, la théorie de l’évolution a connu de nombreux avatars, en fonction de l’avancement des connaissances et des moyens techniques. Et il est probable qu’elle n’en restera pas là… Quant à la théorie de Wegener, on voit que le consensus scientifique à un moment donné a été pris en défaut. Et ce n’est certes pas un exemple anecdotique. Dans divers domaines scientifiques, ce qui était vérité hier ne l’est plus aujourd’hui, et ce qui apparait comme vérité aujourd’hui ne le sera pas nécessairement demain, de telle sorte que les « certitudes » sont souvent « relatives » chez les scientifiques. La science peut se tromper à n’en pas douter.

La science avance avec les controverses 

Ce que l’on doit retenir aussi, c’est que ces théories ont fait l’objet de nombreux débats, parfois virulents, entre les partisans et les opposants. La science avance avec des controverses qui remettent en cause les théories précédentes, parfois avec succès, parfois non. Ce que le grand public a du mal à comprendre, puisque les scientistes lui ont fait croire en la rationalité de la science.

La contradiction fait partie du débat scientifique. Le fait de contester une théorie majoritaire à un moment donné n’est pas une hérésie, mais un élément du débat scientifique. La découverte de la « vérité » ne se construit pas nécessairement par consensus mais par aller-retour (on pourrait dire « essai-erreur ») entre un modèle explicatif et les faits observés. La démarche scientifique se nourrit donc d’interrogations, d’esprit critique, et de doutes. C’est ce qui doit, en théorie, différencier le scientifique du croyant. Il est possible que d’autres observations dans un autre contexte donnent des résultats différents, d’où des interprétations différentes ! Et la vérité n’est généralement dans aucun camp.

De fait, la science est actuellement instrumentalisée pour venir à l’appui de positions idéologiques ou politiques concernant des faits de société (climat, pesticides, OGM, biodiversité). Des mouvements militants laissent croire que la science tient un discours univoque, souvent en se reposant sur des paradigmes périmés, ou en pratiquant ce que j’appelle le « tri sélectif » de l’information. Mais c’est un autre sujet, que nous aborderons une autre fois…

[1] https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/341313/3345276/version/1/file/Rapport+Inte%CC%81grite%CC%81+VF5.pdf

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Scientisme

[3] Popper (La logique de la découverte scientifique).

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