La géoingénierie solaire ou les apprentis sorciers du climat

(Nous republions ici un article de Reporterre du 8/11/23)

Faire réfléchir dans l’espace le rayonnement solaire pour limiter le réchauffement climatique : c’est l’objectif de la géoingénierie solaire. Mais cette technologie pourrait avoir des conséquences imprévues et incontrôlables.

C’est une petite musique qui inquiète nombre de scientifiques, mais qui prend doucement de l’ampleur : et si on reflétait une partie du rayonnement solaire, en modifiant volontairement l’atmosphère, pour réduire le réchauffement climatique à moindres frais ?

Ce type de manipulation volontaire du climat est parfois appelée géoingénierie solaire, ou de manière plus exacte modification du rayonnement solaire (SRM à l’international, pour Solar Radiation Management). Dans sa version la plus étudiée, il s’agirait d’injecter du soufre dans la stratosphère, ou d’autres particules réfléchissantes, qui agiraient comme un parasol rafraichissant. L’alternative principale consisterait à éclaircir les nuages bas marins, là aussi via l’injection d’aérosols, pour qu’ils renvoient davantage de lumière solaire vers l’espace et limitent ainsi le réchauffement.

En 2020, l’Australie a commencé à expérimenter cette dernière technique, dans le but officiel de protéger la Grande barrière de corail, gravement menacée par le réchauffement (NDLR : al Grande Barrière de Corail se porte bien : voir https://climatetverite.net/2023/08/17/peter-ridd-les-prophetes-de-malheur-du-recif-temoignent-de-leffondrement-de-nos-institutions-scientifiques/). Il reste à ce jour le seul pays à avoir entrepris une tentative de géoingénierie solaire à large échelle.

« Tout le monde est encore un peu dans l’observation, mais les lignes bougent beaucoup, note Roland Séférian, chercheur de Météo-France au Centre national de recherches météorologiques (CNRM). Des articles sortent, et quelques initiatives expérimentales et des groupes de lobbies poussent en faveur de ces techniques. »

La technique vise notamment à relâcher du soufre dans la stratosphère via l’envoi de ballons atmosphériques. Pxhere/CC0

« Depuis quelques années, et surtout quelques mois, les États-Unis parlent beaucoup plus ouvertement de SRM », observe pour sa part Sofia Kabbej, chercheuse au sein du pôle climat, énergie et sécurité de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Un jalon a été posé le 30 juin dernier avec la publication d’un rapport de la Maison-Blanche, qui constitue un premier cas de positionnement fédéral sur la géoingénierie solaire. Il suggère de développer différents scénarios de déploiement de SRM, d’approfondir la recherche et milite pour la mise en place d’une gouvernance mondiale sur le sujet.

Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en février, puis l’Union européenne en juin, ont également pris position cette année, appelant eux aussi à développer et encadrer la recherche sur les SRM. Et le 14 septembre, le groupement international d’anciens dirigeants de la Climate Overshoot Commission appelait à un moratoire sur le déploiement de ces technologies.

Risque de destruction de la couche d’ozone

Ces alertes interviennent elles-mêmes en réaction à la multiplication d’initiatives expérimentales plus ou moins heureuses en 2022, visant à relâcher du soufre dans la stratosphère via l’envoi de ballons atmosphériques. Du projet britannique très sérieusement baptisé Satan (Stratospheric Aerosol Transport and Nucleation), à l’éphémère start-up étasunienne Make Sunsets, ces projets ont suscité de vives réactions et réprobations au sein de la communauté scientifique.

Car pour la grande majorité des chercheurs, déployer à grande échelle des techniques de géoingénierie solaire serait une très mauvaise idée. L’injection de soufre pourrait notamment contribuer à détruire une partie de la couche d’ozone. Sans compter qu’un refroidissement global du climat par cette technique se ferait au prix de perturbations climatiques locales très complexes à anticiper, mais potentiellement catastrophiques. En modifiant les circulations atmosphériques et océaniques, ces aérosols pourraient altérer des mécanismes essentiels du climat, comme El Niño.

Le 12 février 2023, Make Sunsets a déployé aux États-Unis un ballon rempli de nuages ​​réfléchissants.

« Il n’y a pas d’accord général des modèles sur les conséquences régionales, mais certains scénarios avec du soufre montrent un affaiblissement et un déplacement de la mousson en Asie du Sud-Est, dont dépendent des centaines de millions de personnes. Cela pourrait générer de très gros problèmes », prévient Slimane Bekki, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Latmos-Ipsl.

Autre problème majeur : les particules que l’on envisage d’injecter dans la stratosphère ont le défaut de n’y rester que quelques années, contrairement aux gaz à effet de serre que l’on émet par ailleurs. Il faudrait donc les envoyer en continu pour refroidir le climat. Avec le risque que toute interruption soudaine et imprévue de l’opération pour une raison ou une autre (rupture politique, crise économique, catastrophe naturelle, guerre, etc.) n’entraîne un brusque rattrapage du réchauffement, aussi brutal que dangereux. Un phénomène redouté par les chercheurs, connu sous le terme de « choc de terminaison ».

Bill Gates, McDonald’s, Shell… Une convergence d’intérêts capitalistes

Comment expliquer, alors, cette tentation croissante de jouer aux apprentis sorciers du climat, malgré une telle liste d’effets secondaires potentiellement délétères 

« Parce que la géoingénierie solaire est perçue comme un moyen d’assurer les intérêts d’une élite politico-économique : elle permet aux modes de vie dépendants des énergies fossiles de perdurer et aux producteurs de ces énergies fossiles de protéger leurs intérêts », répond Sofia Kabbej.

Prétendre pouvoir contrôler le climat par les technologies de SRM pourrait en effet servir de prétexte inespéré pour tempérer le sentiment d’urgence et relativiser le besoin de diminuer au plus vite nos émissions de carbone.

Une étude nord-américaine parue en 2022 dans la revue Capital & Class a analysé l’origine des fonds versés dans la recherche sur les SRM. Si l’écrasante majorité des financements de la géoingénierie solaire provient des États-Unis, elle ne vient toutefois pas directement des représentants de l’industrie fossile, mais de divers acteurs économiques dominants, du monde de la Tech et de la finance notamment.

« Le mythe du progrès infini et sans limites »

Parmi les principaux financeurs privés de la SRM, on trouve quelques milliardaires notoires, comme Bill Gates, mais aussi Dustin Moskovitz, cofondateur de Facebook, Niklas Zennström, fondateur de Skype ou encore William Hewlett, cofondateur d’Hewlett-Packard (HP). Des milliardaires du monde de la finance (la famille Caspersen, Julian C. Baker), d’anciens dirigeants de grandes banques telles que Morgan Stanley ou Goldman Sachs et de grandes multinationales comme McDonald’s, Shell ou Walmart, font aussi partie des principaux donateurs de fondations comme Open Philanthropy Project ou Environmental Defense Fund, qui promeuvent la recherche dans la géoingénierie solaire.

Les auteurs de l’étude notent l’émergence d’une « coïncidence idéologique entre la Silicon Valley, le capital financier et les programmes de recherche de la SRM autour de l’écomodernisme ». Le déploiement de ces technologies constituerait une « potentielle forme de stratégie climatique parmi la classe capitaliste, car l’État capitaliste est structurellement incapable d’intervenir au niveau économique requis pour gérer la crise climatique ». La SRM permettrait donc de perpétuer le « business as usual »« d’acheter du temps pour [mettre en place] une décarbonation incrémentale, dirigée par le marché […] qui peut aussi ralentir la dévaluation du capital fossile », écrivent-ils.

Une traduction concrète de cette opportunité sur laquelle lorgnent les entreprises a été observée par Roland Séférian. 

« Les industriels de l’aérospatial posent beaucoup de questions aux scientifiques. Ils aimeraient que les trainées de condensation de leurs avions, aujourd’hui source de réchauffement, puissent générer à la place des aérosols refroidissants. Des cabinets de conseil aux États-Unis comme des compagnies européennes s’intéressent beaucoup à ces opportunités », témoigne-t-il.

À plus long terme, les enjeux économiques sont également ceux d’une vision du monde que tentent d’imposer, plus spécifiquement, les industriels de la tech. 

« La géoingénierie solaire s’inscrit exactement dans le même narratif que les projets de terraformer Mars et autres hubris des milliardaires de la Tech qui se positionnent en dernier recours pour sauver l’humanité par la technologie. C’est toujours une stratégie pour faire perdurer le monde tel qu’il est, porté par le mythe du progrès infini et sans limites », analyse Sofia Kabbej.

Préserver une recherche indépendante

Du côté des scientifiques, le consensus tend plutôt vers le besoin d’installer un moratoire sur le déploiement des SRM, ainsi que le réclame la lettre ouverte du Solar Geoengineering Non-Use Agreement, signée depuis 2022 par des centaines de chercheurs.

Les débats sur l’opportunité de continuer à développer la recherche sur le sujet sont, en revanche, plus ambivalents. Certains climatologues plaident pour ne pas investir dans cette fausse solution, quand d’autres ont une vision plus stratégique. 

« Il est absolument nécessaire que cette recherche soit faite par des chercheurs indépendants. Sinon, elle le sera par des entreprises privées, avec des articles orientés, comme l’ont fait les cigarettiers et les pétroliers par le passé », souligne Slimane Bekki.

La seule manière de trancher le débat serait d’atténuer enfin massivement nos émissions de gaz à effet de serre. Plus nous prenons du retard, plus les tenants de la géoinégnierie solaire pourront arguer que nous n’avons plus le choix. 

« Et si on entre dans cette technologie, il sera très dur d’en sortir, prévient Roland Séférian. Au lieu de prendre le problème à la racine, on est en train de se préparer à devoir choisir d’ici vingt ans entre la peste et le choléra. »

Reste que le déploiement de ces technologies n’est pas encore pour tout de suite. Elle ne sera pas assez mature ni précise avant 2040, voire 2050, estime Sofia Kabbej. En attendant, l’enjeu pour les grandes puissances est de se positionner en leader normatif en vue d’une hypothétique gouvernance mondiale, indispensable pour voir émerger une géoingénierie solaire, susceptible de se dérégler ou d’occasionner de dangereuses tensions géopolitiques en l’absence de déploiement concerté.

« Même si cela fonctionnait, ce serait irréaliste d’imaginer un accord sur quelle serait la température idéale, variable selon les besoins de chaque pays, explique la chercheuse. La SRM est un outil politique avant d’être un outil climatique. » 

Et il est urgent d’en faire un débat citoyen, tant qu’il est encore temps.

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3 réponses

  1. Avant de prétendre « lutter contre le réchauffement climatique » , la moindre des choses serait de comprendre les causes naturelles des changements climatiques qui sont largement prépondérantes. Les facteurs naturels, généralement ignorés par le GIEC, ont tous une importance de premier plan, particulièrement ceux liés à la circulation thermohaline et ceux liés aux cycles solaires. Citons-en les principaux: les cycles de Milankovitch ou cycles astronomiques de forçage (position des planètes géantes par rapport au soleil, champ magnétique solaire, rayons cosmiques influençant les nuages, etc.), avec des périodes approximatives de 26 000 ans, 41 000 ans et 100 000 ans rendant compte des périodes glaciaires observées; les cycles de Bond ou cycles Tidaux lunaires d’environ 1500 années responsables de  pics de réchauffement et refroidissement tous les  750 ans ; les oscillations multidécadales Atlantique  50-70 ans ; les oscillations décadales Pacifique  30-40 ans ; les cycles Hale (activité des taches solaires)  11 ans et 300 ans ; les oscillations El Nino/La Nina,  2-7 ans et 12-18 mois respectivement ; les oscillations quasi-biennales (30 mois)  peu comprises (liées  en partie à des alignements du Soleil, Jupiter, Saturne et Vénus) ; les cycles climatiques de l’Afrique du Nord 19000 et 23000 ans liés à la gravité et au changement de l’orientation de l’axe de la Terre (précession) ; les éruptions volcaniques sous-marines et aériennes, de fréquence et durée aléatoires, etc. (Prof Alain Préat et d’autres)
    En tout état de cause, le temps de mettre au point ces hasardeuses techniques de refroidissement atmosphériques et spatiales, on aura basculé vers un refroidissement climatique. On passe d’un refroidissement à un réchauffement et vice versa sans aucune période stable et certains pensent que le prochain basculement s’effectuera vers 2030. Le problème actuel sera donc résolu de lui-même. Ceci étant dit, toute recherche est intéressante, et dans ce domaine évoqué par l’article il serait pertinent de voir ce qu’il est possible de faire dans le cas d’un refroidissement tel que le sévère minimum de Maunder, dont le minimum suivant nous menace. Là, on a un peu plus de temps, quoique…

  2. Le grand smog de Londres en 1952 a provoqué 12 000 morts à la suite des infections respiratoires. Le dioxyde d’azote et le dioxyde de soufre, émis par la combustion du charbon se sont mélangés pour créer de l’acide sulfurique et le brouillard en question. On observe le même phénomène aujourd’hui en Chine.
    Faut-il recommencer l’expérience ?

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