(ÉRIC SARTORI dans Factuel du
Il pourra paraître un peu inhabituel de commencer un billet d’une rubrique consacrée à l’énergie par parler de poésie et de littérature ; c’est que pour être ingénieur, on peut aussi n’en être pas moins sensible à certains univers, certaines façons d’appréhender le monde.
C’est mon cas pour l’œuvre de Sylvain Tesson, en général, mais plus particulièrement encore pour son dernier ouvrage, Avec les Fées (Éd.des Équateurs). Il s’agit de la relation concrète et poétique, érudite aussi, d’un voyage de la Galice à l’Écosse en passant par la Bretagne, la Cornouailles, le pays de Galles et l’Irlande. Voyage maritime et pédestre, de caps en promontoires, d’îles en baies ; aussi voyage spirituel et sensible, à la recherche des fées donc. Les fées, ce sont le jaillissement de la beauté des formes, le surgissement du merveilleux dans ce si particulier arc celtique, ce « ruban du granite et l’iode », avec sa lumière douce et ses sombres tempêtes où s’affrontent terre et mer, ses témoignages dressés d’une occupation humaine multimillénaire et de ses cultes inconnus, ses légendes.
Ce ruban celte que nous décrit avec tant d’émotion Sylvain Tesson, il est à craindre que les fées n’y séjourneront plus très longtemps… sauf à risquer de finir déchiquetées par les éoliennes.
C’est en effet un véritable tsunami éolien qui menace les côtes françaises, 45 GW d’éolien en mer représentant une cinquantaine de zones industrielles éoliennes ; pour la seule Bretagne, une trentaine de « parcs » occupant chacun une superficie équivalent à une fois et demi Belle-Île ( soit en tout 45 Belle-Île), avec des aérogénérateurs quatre fois plus haut que son point culminant. Des programmes équivalents menacent les côtes atlantiques d’Espagne, d’Ecosse et d’Irlande.
La fin des terres ne sera plus la mer, cet infini horizontal vaste et libre, contemplé par des peuples divers depuis des millions d’années, mais en bien d’endroits une zone industrielle éolienne. La dévastation du paysage français et européen va s’étendre à la mer littorale et cent ans d’efforts de protection du littoral et de la vie marine côtière vont être annihilés.
Menace imminente de destruction massive pour nos côtes
Les côtes françaises ne sont nullement favorables au développement de l’éolien en mer. Rocheuses et pentues, elles imposent des « parcs » à moins de vingt kilomètres des côtes contre plus de quarante en moyenne en Mer du Nord avec leurs côtes sablonneuses et plates. La dévastation du littoral, de la vie maritime côtière (oiseaux, cétacés) et les conflits d’usage, notamment avec la pêche, menacée de disparition, s’en trouvent maximisés. La seule zone industrielle éolienne de Saint-Brieuc a exigé 59 autorisations de destructions d’espèces protégées dont 54 espèces d’oiseaux- certaines en danger critique d’extinction comme le macareux moine, dont la quasi-disparition de l’archipel des Sept-Iles ( au large de Perros-Guirec) a été à l’origine en 1912 de la Ligue de Protection des Oiseaux, le puffin des Baléares, le pingouin de Torda. Qu’en sera-t-il avec cette ceinture de parcs éoliens en cours de programmation, faisant barrière en plein milieu de routes majeures de migrations intercontinentales d’innombrables espèces d’oiseaux et de cétacés, celles-là même sur lesquelles M. Sylvain Tesson vient de naviguer. C’est tout simplement une menace inédite et imminente de destruction massive !
Encore plus révoltant, ce programme insensé de développement de l’éolien marin est d’intérêt climatique nul, voire négatif dans le contexte français, avec une électricité déjà très décarbonée et l’obligation de remédier à l’intermittence de la production éolienne par des centrales fossiles, à gaz principalement. N’offrant aucune puissance garantie, il ne sert à rien pour la sécurité d’alimentation, en particulier lors des fortes demandes en période d’anticyclones hivernaux. En raison de sa forte variabilité et de son absence d’inertie, il est dangereux pour la stabilité des réseaux. Exigeant une extension des réseaux, du stockage, de la stabilisation, il est économiquement insoutenable, avec des promesses fallacieuses d’emploi et de fortes dépendances étrangères pour les métaux et matériaux stratégiques.
Au prétexte fallacieux de lutte contre le changement climatique, les producteurs éoliens se voient accorder des passe-droits et une autorisation générale de dévastation qui ont été refusés à toute autre industrie. Cette année 2024 est particulièrement importante avec le débat (la mer en débat) organisé par la Commission Nationale du Débat Public sur l’avenir des façades maritimes et le vote d’une nouvelle stratégie énergie climat à l’Assemblée Nationale, qui devront entre autres décider sur ce programme éolien en mer.
Il revient à chacun d’agir, de participer au débat selon ses connaissances, ses convictions, ses envies afin d’éviter un futur si peu désirable, la transformation de la mer littorale bretonne en zone industrielle,- et absurde du point de vue de la rationalité scientifique, technique, économique. Il reste peu de temps pour tenter d’éviter cette catastrophe.
Comme l’écrit Sylvain Tesson, quand les fées sont là, « le monde des machines, des chiffres, de la méchanceté matérielle, de l’écrasement cybernétique et marchand recule ». C’est plutôt l’inverse qui nous menace.
Une réponse
Espérons que Morgane, Viviane et Mélusine vont nous trouver l’enchanteur qui fera disparaître cette menace.