Réduction artificielle du nombre de passoires thermiques, réduction de Ma Prime Rénov’… les associations s’alarment des “coups de rabot” portés à la rénovation énergétique des bâtiments, l’un des pans essentiels de la transition écologique.
140 000 logements “sauvés” in extremis… Face à la pression des acteurs de l’immobilier, le gouvernement a assoupli le Diagnostic de performance énergétique, plus connu sous le nom de “DPE”, pour les logements de petite taille. Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a annoncé le 12 février une correction du calcul des DPE des logements de moins de 40 m². Ces derniers vont sortir de la catégorie des passoires énergétiques (F et G) et éviter ainsi une interdiction de location qui doit démarrer au 1er janvier 2025 et qui concernera finalement 500 000 logements.
“Plus la surface d’un logement est petite, plus la part de l’eau chaude sanitaire pèse sur son classement, sans lien réel avec le nombre d’occupants”,
a justifié le ministre dans Le Parisien, répondant à une demande forte et répétée des acteurs du secteur qui n’ont pas tardé à réagir. “Cette modification va permettre de remettre des appartements à la location, même si on crée un DPE light”, s’est félicité auprès de l’AFP le président de la Fédération française du bâtiment, Olivier Salleron. Les trois fédérations de diagnostiqueurs ont aussi salué ces mesures.
Mauvais signal
Le DPE, créé en 2006 et réformé en 2021, est régulièrement la cible de critiques de la part des acteurs de l’immobilier, du bâtiment et des particuliers. Un rapport du Conseil d’analyse économique, publié le 10 janvier, est venu enfoncer le clou en révélant l’écart entre les consommations théoriques mesurées par le DPE et les consommations réelles. Pour autant, “le DPE reste un outil, certes perfectible, indispensable pour orienter les travaux de rénovation et évaluer la performance énergétique théorique des bâtiments” précise à Novethic Anne Créti, professeur à l’université Paris-Dauphine et directrice de la chaire Economie du climat.
“On fait baisser artificiellement le nombre de passoires thermiques, mais ces logements resteront énergivores et inconfortables”
“Nous ne sommes pas contre des aménagements s’ils sont pertinents et faits en concertation avec l’ensemble des acteurs, réagit également Isabelle Gasquet, responsable de projets Efficacité énergétique au sein de l’association Cler – Réseau pour la transition énergétique. L’année dernière, nous avons eu beaucoup d’échanges avec les ministères sur la façon de renforcer la rénovation performante des logements avec des avancées notables, et en quelques semaines, nous assistons à une série d’annonces qui nous font craindre un détricotage”, s’inquiète-t-elle. “On fait baisser artificiellement le nombre de passoires thermiques sans s’attaquer au problème car ces logements resteront énergivores et inconfortables“, résume-t-elle à Novethic.
C’est également un mauvais signal envoyé aux bailleurs propriétaires, qui seront d’autant plus tentés de retarder leurs travaux de rénovation, mais aussi à l’ensemble du secteur alors que les objectifs sont loin d’être atteints.
“En s’attaquant au DPE, on prend le sujet par un bout de la lorgnette et on évite de parler de la rénovation qui rentre elle aussi dans le cadre de la réindustrialisation du pays. On va avoir besoin d’artisans qualifiés, de diagnostiqueurs, il va falloir structurer la filière…tout cela nécessite une trajectoire claire et de tenir des objectifs”, énumère Anna Créti.
Coup de rabot sur Ma Prime Rénov’
En 2023, selon les données de l’Anah, 670 000 rénovations énergétiques ont été réalisées, 3,1 milliards d’euros d’aides attribués, mais seules 70 000 rénovations globales ont été comptabilisées. L’objectif pour 2024 est d’arriver à 200 000. Et le gouvernement avait mis le paquet. A l’automne dernier, il avait alloué une enveloppe “sans précédent” pour la transition énergétique, qui incluait une hausse de Ma Prime Rénov’, principal mécanisme d’aide à la rénovation énergétique des bâtiments, de 1,6 milliard d’euros. Celle-ci a été actée dans le Budget 2024 adopté il y a seulement deux mois.
Mais depuis, l’Energie est passée sous la houlette de Bercy, et les premières conséquences n’ont pas tardé à se matérialiser. Dimanche 17 février, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a annoncé au 20h de TF1 10 milliards de coupes budgétaires dont 1 milliard pour Ma Prime Rénov’, 800 millions d’euros pour l’aide publique au développement et 400 millions pour le fond vert des collectivités. Quelques jours auparavant, l’Elysée annonçait également la baisse du bonus écologique et la fin du leasing social pour 2024 seulement six semaines après son lancement. Ce dispositif, qui permet aux ménages les plus modestes de louer une voiture électrique pour 100 euros par mois, a connu un vif succès et risquait de faire dérailler les finances publiques.
“Le climat et le pouvoir d’achat sont les principaux perdants”,
déplore le Réseau action climat dans un communiqué. Riposte Alimentaire, le collectif qui a succédé à Dernière rénovation, a quant à lui appelé à un rassemblement ce jeudi 22 février à 19h devant le ministère de l’Economie et des Finances. “Ces annonces ne font qu’alimenter notre colère et notre motivation. Riposte Alimentaire multipliera les actions ces prochaines semaines”, prévient le collectif qui s’est fait connaître en aspergeant le tableau de La Joconde de soupe.