Le devoir de vigilance européen rejeté après un revirement des Etats membres

Dans un revirement inédit, le Conseil Européen vient de rejeter, faute de majorité qualifiée, le projet de directive sur le devoir de vigilance européen. Il s’agit d’un recul majeur pour les réglementations sociales et environnementales européennes et pour le Green Deal, sur fond de lobbyisme des acteurs économiques européens.

Coup de tonnerre à Bruxelles ! Le Comité des représentants permanents de l’UE (COREPER) n’a pas pu dégager de majorité pour voter la CSDDD (Corporate Sustainability Due Dilligence Directive), la directive européenne sur le devoir de vigilance qui visait à rendre les entreprises responsables des atteintes aux droits de l’environnement et aux droits de l’Homme sur toute leur chaîne de valeur.

Depuis quelques semaines, le texte était attaqué de toutes parts : une coalition d’intérêts, rassemblant les droites et extrêmes droites européennes et certains lobbies économiques, dont le Medef et la CPME en France, faisant pression pour bloquer la validation du texte en COREPER. Décalé plusieurs fois, le texte est finalement passé au vote le 28 février. Mais en l’absence de majorité qualifiée, l’accord prévisionnel, qui avait pourtant été validé en trilogue en décembre dernier, n’a pas pu être trouvé.

Le devoir de vigilance européen bloqué par 14 Etats membres

Le gouvernement allemand avait déclenché le premier le blocage en annonçant début février sa volonté de s’abstenir sur le texte, pour contenter notamment le parti de droite libéral du FDP et les intérêts économiques allemands. Il a été suivie par l’Italie, et de nombreux autres pays, dont la Finlande, l’Autriche, la Hongrie… Finalement, ce sont 14 pays sur 27, qui se sont opposés au texte, dont la France. Paris a demandé à la dernière minute la modification des seuils d’applicabilité de la directive aux seules entreprises de plus de 5 000 salariés, contre 500 dans la version adoptée en trilogue en décembre dernier, exemptant donc 80% des entreprises concernées.

Lara Wolters eurodéputée du groupe des sociaux-démocrates, rapporteuse du texte au Parlement, a dénoncé en conférence de presse le “recul flagrant” que représente le revirement des Etats membres, influencés par les grands syndicats patronaux : 

“Ce n’est pas un secret, le Medef en France s’est retourné contre le texte, la Fédération des Industries allemandes également… Et ils ont clairement fait pression sur leurs gouvernements”.

Elle ajoute : 

“Un certain nombre de pays qui étaient considérés comme des partenaires responsables des négociations européennes ont fait volte face, ce qui est très inquiétant pour l’avenir démocratique de l’Europe”.

“C’est l’un des processus de négociation les plus compliqués et les plus décevants auxquels j’ai assisté”

Richard Gariner, chargé des politiques publiques européennes à la World Benchmarking Alliance, commente ainsi : “C’est l’un des processus de négociation les plus compliqués et les plus décevants auxquels j’ai assisté. Les Etats membres n’ont fait que promouvoir leurs intérêts nationaux, en compromettant intentionnellement toute tentative d’atteindre un consensus.” Pour Juliette Renaud, responsable de plaidoyer pour Les Amis de la Terre, le blocage du texte “est catastrophique, et remet en cause des mois de trilogue et des années de négociation avec l’ensemble des parties prenantes pour parvenir à mieux protéger les milliers de personnes qui souffrent des atteintes aux droits humains et environnementaux”.

Encore un espoir, mais le temps presse

Sur les réseaux sociaux, Marie Toussaint, eurodéputée Europe Ecologie, tête de liste pour les élections européennes, a qualifié de “scandaleux” le revirement du Comité des représentants. De nombreux professionnels voient également dans ce blocage un recul majeur.

Philippe Zaouati, porte-parole du Mouvement Impact France et membre de la coalition d’entreprises européennes Business for a Better Tomorrow voit dans la situation un “coup dur pour les entreprises responsables en Europe”.

“Un coup dur pour les entreprises responsables en Europe”

Pour Charlotte Michon, avocate spécialisée dans le conseil aux entreprises en matière de droits humains, c’est une mauvaise nouvelle pour la sécurité juridique des entreprises.

Le devoir de vigilance est un socle pour les entreprises, il est leur moyen de respecter les droits humains et l’environnement et de prévenir leurs risques opérationnels, financiers et même pénaux.” analyse-t-elle.

En l’absence de cadre juridique clair, les entreprises ne pourront se référer qu’à une soft law floue et fragmentée sur les questions de droits humains et environnementaux.

Actuellement, tout espoir de voir le texte validé dans les prochains jours est suspendu à un revirement surprise du Conseil.

Pascal Canfin, eurodéputé pour le groupe Renew, auquel appartient la majorité présidentielle, n’a pas souhaité commenter le revirement de la France, mais assure à Novethic que les négociations ne sont pas terminées : 

“Nous continuons de travailler avec la présidence belge pour trouver une majorité au Conseil”.

Mais il reste en fait très peu de temps pour qu’un compromis émerge, car la directive doit passer en commission des affaires juridiques mi-mars pour espérer être votée avant les élections.

Après, le texte pourrait être définitivement enterré, si une majorité hostile au Green Deal et à la transition écologique se dessinait en Europe…

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Une réponse

  1. Un grand moment d’intelligence, il faut l’espérer car dans le passé les prétentions à détenir la vérité ont toujours conduit à des catastrophes. Vive la liberté responsable

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