La Cour des comptes allemande dresse un tableau apocalyptique de la transition énergétique déployée par Berlin

(Une interview de Samuele Furfari par Atlantico  le 10/3/24)

Atlantico : La Cour des comptes allemande dresse un tableau apocalyptique de la transition énergétique déployée par Berlin dans un rapport. Quels sont les principaux enseignements des conclusions de la Cour des comptes fédérale allemande concernant la transition énergétique ?

Samuel Furfari : Elle a estimé que malgré les coûts astronomiques pour faire la promotion des énergies renouvelables, les résultats escomptés n’ont pas eu lieu. Il y a beaucoup de retard par rapport aux objectifs qui avaient été fixés. Il y a également un manque flagrant d’investissements dans les infrastructures.

Le développement des éoliennes ou de certaines centrales a notamment été freiné par manque d’infrastructures et d’investissements, notamment pour les lignes aériennes pour transporter l’électricité. La Cour des comptes souligne ces retards dans les objectifs et les infrastructures.

Selon les chiffres de la Cour des comptes allemande, le retard par rapport à la planification pour l’extension du réseau serait en mauvaise voie. Il y aurait un retard de sept ans et de 6   000 kilomètres apparemment. Il serait nécessaire d’investir plus de 460 milliards d’euros pour l’expansion du réseau électrique. Sachant que les tarifs de l’électricité ont déjà augmenté de 43 % pour les clients résidentiels et de plus de 32 % pour les clients commerciaux et 80 % pour les clients industriels, ne va-t-il pas y avoir un rejet massif de la politique de l’EnergieWende   ?

Cette question est fondamentale. En aval des centrales électriques, il y a tout un réseau électrique entre la productionet votre interrupteur à la maison. Ce réseau électrique est gigantesque parce qu’il faut transporter en haut voltage beaucoup d’électricité sur des longues distances notamment en Allemagne puisque les éoliennes se trouvent essentiellement dans le nord et la consommation essentiellement dans le sud du pays. Ensuite, elle est transformée à plus bas voltage pour ensuite être distribuée dans les rues jusque dans votre logement. Tout cela coûte extrêmement cher.

En France, une usine qui produit de l’électricité, s’appelle une centrale électrique. C’est la même chose en espagnol et en italien. Pourquoi   ? Parce qu’à l’origine de la production d’électricité, il y avait une dispersion des usines d’électricité. Chacun développait sa petite usine, notamment en fonction des chutes d’eau disponibles. Il fallait donc construire un réseau aux alentours de cette usine. Progressivement, on s’est aperçu que le bon sens exigeait de ne pas avoir des petites unités, mais d’en avoir une grande centrale. Il fallait centraliser la production d’électricité. Depuis le début XXème siècle, l’objectif a été de construire de grandes centrales.

Or, pour les énergies renouvelables, il ne peut être question de grandes centrales et on nous a inculqué que l’avenir est à la décentralisation, bafouant ainsi les générations d’ingénieurs qui se sont évertuées à centraliser la production.

Mais à partir du moment où vous considérez que les petites centrales représentent l’avenir, vous devez multiplier le nombre de kilomètres de câbles. La Cour des comptes allemande évoque 6000 kilomètres de retard. La situation est catastrophique et témoigne de l’erreur commise dans la transition énergétique allemande. Afin de justifier tout cela, on a même inventé le concept de «   smart grids   », réseau intelligent. Pourtant, les réseaux n’étaient pas «   stupides   » avant. Les réseaux électriques étaient bien gérés par le passé.

Dans les écoles polytechniques, dans les sections d’électricité, on a toujours formé des ingénieurs spécialisés en réseaux électriques.

Cet aspect fondamental a été écarté, car il fallait justifier la multiplication d’éoliennes et de panneaux solaires. Et donc c’est pour cela qu’il y a 6000 kilomètres de retard. Or, tous ces réseaux utilisent du cuivre, un matériau qui coûte cher. C’est ce qui explique que les investissements sont très onéreux et peut-être que l’Allemagne n’avait pas mesuré l’ampleur de l’investissement à consentir pour multiplier les éoliennes dans le pays.

Lorsque l’on pense que le vent est gratuit et que donc tout va être gratuit, cela aboutit à une erreur énorme de politique énergétique.

Exprimant de gros doutes quant à la possibilité d’une élimination rapide du charbon en 2030, la Cour fédérale des comptes Allemande alerte sur le fait que les dix centrales électriques au gaz prévues ne suffiront pas à garantir la sécurité d’approvisionnement. L’objectif d’un approvisionnement sûr en électricité ne peut donc être garanti. Est-ce que là aussi, il n’y a pas une crainte face à cette transition au charbon de voir des risques liés à l’énergie ressurgir en Allemagne   ?

La Cour des comptes a souligné quelque chose de très grave. Plus vous développez des énergies alternatives, variables et intermittentes, plus vous devez préparer une solution de secours et pérenne.

Il n’est pas possible d’installer une éolienne et à côté ne pas avoir une autre centrale qui va prendre le relais lorsqu’il n’y aura pas de vent. Dans l’UE, il y avait assez de centrales existantes. De sorte que lorsque l’on ajoutait une éolienne, après tout, il y avait bien des centrales au charbon ou nucléaires ou au gaz qui fonctionnaient pour pallier l’intermittence. Mais à partir du moment où en Allemagne on arrête les centrales nucléaires et au charbon et qu’on ne veut que de l’éolien et du solaire, vous êtes obligés de construire une. garde naturel.

Or, vous ne pouvez pas baser un réseau électrique uniquement sur des éoliennes et du solaire, car l’éolien ne produit que 23 % du temps et le solaire 11 % du temps. Donc quand vous installez une éolienne, il vous faut un remplacement qui va fonctionner 75 % du temps. Les Allemands l’ont compris et suite à leur décision d’arrêter le charbon à cause des émissions de CO et le nucléaire, il va falloir construire des centrales au gaz.

Mais avec la difficulté qu’il y a eu avec la Russie, l’Allemagne est vraiment fragilisée, car il n’y a plus assez de gaz pour l’industrie chimique et pour le secteur domestique. En plus, le gaz est devenu cher, car ils ne bénéficient plus du gaz russe bon marché.

En Allemagne, les difficultés sont réelles, car ils ne peuvent pas développer l’éolien et il n’y a pas assez de centrales au gaz pour pallier l’intermittence.

La Cour fédérale des comptes a également critiqué le fait que le ministère de l’Economie ait présenté de manière trop positive l’évolution des prix de l’électricité. La Cour constate que les coûts supplémentaires de la transition énergétique ne sont pas pris en compte, notamment les coûts intégrant l’expansion du réseau ou les capacités de secours. Est-ce que cela ne crée pas une fausse image des coûts réels de la transition énergétique   ? Est-ce que cela ne va pas rendre plus difficile l’acceptation de la transition énergétique au sein de la population allemande   ?

Cette vérité est en train de devenir patente. Les énergies renouvelables ont toujours été présentées comme peu chères, efficaces et permettant d’inonder le monde avec cette technologie. La situation allemande démontre maintenant que tout cela est complètement biaisé et faux.

La Cour des comptes allemande confirme que cette transition énergétique va coûter beaucoup plus cher que ce qui était prévu et anticipé.

En France aussi, la Cour des comptes a aussi fait le même constat l’an dernier. Mais cela n’a rien changé. Personne ne met en pratique les conclusions du rapport.

Le président de la Cour aurait déclaré que la sécurité d’approvisionnement était menacée, que l’électricité est coûteuse et le gouvernement fédéral n’est pas en mesure d’évaluer de manière exhaustive l’impact de la transition énergétique sur le paysage, la nature et l’environnement. Est-ce que nous assistons à un grand gâchis allemand ? N’est-ce pas inquiétant pour l’avenir de l’Allemagne et même pour l’Europe sur le plan de l’énergie ?

La Cour des comptes allemande a aussi mentionné le gâchis environnemental, car il est vraiment insupportable de voir des éoliennes partout en Allemagne.

Il y a un immense gaspillage d’argent public pour quelque chose qui n’apporte pas grand-chose et surtout, qu’au niveau mondial, les autres pays ne cessent pas d’émettre du CO2.

Ce que fait l’Allemagne est vraiment totalement insignifiant dans le cadre de la lutte pour le changement climatique et cela leur coûte horriblement cher, tout le en détruisant le paysage. Les conclusions sont donc un zéro pointé pour l’EnergieWende Allemande.

Il est urgent maintenant de changer la mentalité des députés européens. Il y a encore une trop grande majorité de politiciens à Strasbourg qui sont encore dans ce paradigme utopique de l’EnergieWende.

Beaucoup de députés européens ne sont pas informés et ne veulent pas s’informer parce que pour eux la transition énergétique est un dogme.

La Cour des comptes allemande vient de donner un énorme coup dans la fourmilière. J’espère qu’à Strasbourg, il y aura tout de même une prise de conscience du prochain Parlement. Nous sommes en train de commettre des erreurs. Il faudrait aussi que l’UE cesse de courir derrière les en fixant de nouveaux objectifs toujours plus contraignants. Même en pleine crise des agriculteurs, la Commission européenne vient de publier un rapport de 605 pages avec de nouvelles normes et de nouveaux objectifs à atteindre. Ils sont dans un monde parallèle.

Alors que le modèle allemand avait été plébiscité en Europe et que certains étaient tentés de le suivre, avec cette déclaration de la Cour fédérale allemande, est-ce qu’il ne pourrait pas y avoir une inflexion en Europe pour obtenir une transition moins coûteuse   ?

J’attendais ce moment depuis longtemps. Je travaille depuis des décennies sur tout cela. J’ai été responsable des énergies renouvelables. Il fallait essayer ces modèles de transition, mais que maintenant que les chèques manquent il faut arrêter de dilapider l’argent public pour produire des énergies renouvelables. Cela coûte horriblement cher et cela ne sert à rien pour le CO2 mondial donc il faut arrêter.

Les seuls bénéficiaires sont les investisseurs dans ces centrales, car, à cause de la courbe de mérite, ils encaissent  la différence entre le coût marginal pratiquement nul du vent et le coût marginal de la dernière centrale au gaz mise en service pour satisfaire la demande. Il y a en fait une véritable escroquerie payée par toute la communauté des consommateurs.

La nouvelle Commission et le nouveau Parlement européen doivent avoir le courage de mettre fin à ce système unique qui consiste à transférer l’argent des consommateurs vers les comptes en banque des investisseurs en énergie renouvelable. Est-ce que le gouvernement allemand va oser prendre les mesures qui s’imposent   ? Est-ce que les autres gouvernements vont-ils le faire aussi ? L’Union européenne va-t-elle mettre fin à ce mécanisme pernicieux ?

Dans  mon  livre  publié  la  semaine  dernière  « Énergie,  mensonges  d’État.  La destruction organisée de la compétitivité de l’UE » (édition L’Artilleur), je démontre que pendant 66 ans l’Union européenne a tout fait pour que les citoyens et l’industrie disposent d’une énergie abondante et bon marché.

Ce n’est que depuis l’accord de Paris que tout a périclité. Nous avons un manque d’énergie et elle est chère. Pendant ce temps-là, nos concurrents dans le reste du monde profitent de l’énergie abondante et bon marché, ils le feront de plus en plus en nous laissant avec notre illusion de la décarbonation.

Nous devons être reconnaissant envers la cour allemande qui a eu le courage de dire que l’EnergieWende est un échec Plus vite on revient à la politique qui avait été suivie avant l’accord de Paris mieux on se portera.


Samuel Furfari vient de publier “Energie, mensonges d’état La destruction organisée de la compétitivité de l’UE” aux éditions L’Artilleur.

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