(Par Arnaud Dumas dans Novethic du 16/5/24)
(NDLR : une façon assez simple pour les ONG écologistes de se financer)
Un rapport du Congrès américain basé sur des milliers de documents internes des compagnies pétrolières dénonce leurs stratégies de déni climatique. Des sénateurs et des ONG appellent le gouvernement fédéral à lancer des poursuites judiciaires. Les majors pétrolières font déjà l’objet d’une trentaine de procès en demande de réparations de la part d’Etats américains.
Les entreprises du secteur pétrolier pourraient bientôt devoir réparer les conséquences du changement climatique aux Etats-Unis. Des élus démocrates du Congrès américain ont publié un rapport épinglant sévèrement les pratiques du secteur des industries fossiles pour nier leurs responsabilités. Intitulé “Déni, désinformation, double discours : l’évolution des efforts des majors pétrolières pour éviter leur responsabilité dans le changement climatique”, et basé sur le recueil par voie judiciaire de documents internes de quatre majors pétrolières (ExxonMobil, Chevron, Shell, BP) et de leurs lobbys (American petroleum institute et la Chambre de commerce américaine), le rapport démontre comment, depuis plusieurs années, l’industrie des énergies fossiles a œuvré pour instiller le doute sur leur rôle dans le changement climatique. Et il pourrait bien être le socle de futures actions en justice contre l’industrie pétrolière.
Des sénateurs commencent déjà à demander des réparations. “De mon point de vue, ce n’est pas aux Etats et à l’Etat fédéral de payer l’addition. Il est temps de demander aux personnes qui ont causé le problème et menti sur la situation de le faire“, a déclaré Bernie Sanders, le sénateur démocrate du Vermont, pendant l’audition sur le rapport. Une déclaration appuyée par le Center for climate integrity, une ONG américaine, qui appelle le ministère de la Justice américain à ouvrir une enquête et tenir responsable les majors pétrolières “d’avoir menti au peuple américain pendant des décennies”.
Vers un “déni climatique allégé”
Le rapport montre en effet comment le discours de l’industrie s’est transformé ces dernières décennies pour continuer à entretenir le flou sur le changement climatique. Des rapports scientifiques étouffés dans les années 60, en passant par la remise en cause de la réalité du changement climatique, jusqu’à la phase actuelle de “déni climatique allégé” comme la décrit Sheldon Whitehouse, président de la commission budgétaire du Sénat co-autrice du rapport. Une phase dans laquelle les majors déclarent s’engager à réduire leurs émissions, l’industrie pétrolière a tout mis en œuvre pour “bloquer des progrès significatifs en matière de sécurité climatique“.
L’American petroleum institute, interrogé par le Financial times, a qualifié le rapport de “rhétorique infondée en année électorale”. Exxon de son côté s’est défendu en disant que “comme nous l’avons dit de nombreuses fois, le changement climatique est réel et nous avons une activité entière dédiée à la réduction des émissions”. Mais malgré ses dénégations, l’industrie pétrolière américaine va se retrouver confrontée à de plus en plus de poursuites judiciaires en raison de sa responsabilité climatique.
33 procès contre les majors pétrolières aux Etats-Unis
Le Center for climate integrity a déjà recensé 33 procès en cours aux Etats-Unis lancés par des Etats ou des collectivités locales contre les majors pétrolières. Parmi les plus récents, celui lancé par la Californie en septembre 2023 contre ExxonMobil, BP, Shell, ConocoPhillips et Chevron pourrait faire mal. L’Etat demande au tribunal de demander aux compagnies pétrolières de payer pour les dommages causés à l’environnement et d’imposer des amendes pour leurs mensonges sur le changement climatique. Entre les plaintes pour greenwashing ou celles pour dommages climatiques, les actions en justice portées par la puissance publique dénoncent pratiquement toutes le déni climatique des majors pétrolières. Le rapport du Congrès vient leur apporter de nouveaux arguments à faire valoir au cours de ces procédures.
D’autant que plusieurs décisions de justice viennent de donner un coup d’accélérateur à ces procès. Une tactique des majors pour retarder les procédures consistait à demander que les plaintes soient examinées par les tribunaux fédéraux, réputés leur étant plus favorables. Mais dès le mois de mars 2023, le ministère de la Justice américain a apporté son soutien aux procédures lancées par les Etats. Depuis, la Cour suprême des Etats-Unis et près d’une vingtaine de Cours d’appel fédérales ont rejeté les demandes des compagnies pétrolières, renvoyant les procès au niveau des Etats.