Depuis trois ans, le gaz naturel a beaucoup fait parler de lui : pour ses cours atteignant des niveaux stratosphériques en août 2022, comme paramètre fondamental dans les prix de l’électricité, comme protagoniste géopolitique depuis le déclenchement du conflit russo-ukrainien. Son impact majeur sur les prix de l’énergie a joué un rôle clé sur l’inflation galopante observée au cours de ces deux dernières années et, par voie de conséquence, sur le pouvoir d’achat des Français. Aussi est-il devenu un outil de propagande électorale, d’autant que la prochaine augmentation (plus de 10 %) aura lieu le lundi 1er juillet, au lendemain du premier tour des législatives.
Dans la plupart des programmes, l’énergie, en général, et le gaz, en particulier, sont utilisés comme outils démagogiques : blocage des prix pour l’extrême gauche, réduction de la TVA à 5,5 % pour la droite nationaliste seraient les antidotes miracles pour « redonner du pouvoir d’achat aux Français ». Qu’en est-il vraiment ? Pourquoi le gaz a-t-il fortement augmenté ? L’État possède-t-il des marges de manœuvre significatives pour baisser le prix du gaz ?
Comment se décompose le prix du gaz, pour le particulier ?
Les fournisseurs de gaz s’approvisionnent sur le marché de gros situé à Rotterdam. Entre 2018 et mi-2021, le MWh valait en moyenne 16,50 €. À partir de septembre 2021, les prix ont augmenté brutalement, dépassant les 100 €/MWh en décembre 2021 puis, par suite du conflit russo-ukrainien, ont atteint un pic historique à 250 €/MWh en août 2022. À partir de début 2023, le TTF [Title Transfer Facility est le point virtuel d’échange commercial de gaz dans la zone de marché des Pays-Bas, NDLR] est redescendu sous les 50 €/MWh, pour se stabiliser aujourd’hui autour de 35 €/MWh. Retenons donc que le prix de gros du gaz est aujourd’hui le double de ce qu’il était avant la crise de 2021 et 2022. La France n’a aucun levier sur les prix de gros inexorablement subis par le consommateur.
En dehors du prix de gros, la facture de gaz (prix de détail) comporte trois autres composantes : le coût d’acheminement au point de consommation, les coûts commerciaux et les différentes taxes.
Depuis début 2018, le prix moyen du tarif réglementé du gaz s’est accru de 37 %. Excepté la période de crise (mi-2021 à mi-2023) durant laquelle un bouclier tarifaire a maintenu les prix de détail bien en dessous des prix de gros, le différentiel prix de détail moins prix de gros est resté quasi constant. En d’autres termes, l’accroissement du prix du gaz pour le consommateur résulte quasi exclusivement du doublement du prix de gros.
En revanche, l’augmentation des prix du gaz au premier juillet 2024 relève, pour l’essentiel, d’un accroissement des coûts d’acheminement justifié par la baisse de la consommation gazière (de 312 TWh, en 2020, à 268 TWh, en 2023) et du nombre de consommateurs (-1,5 %/an) alors que, parallèlement, les coûts fixes d’exploitation du réseau restant stables (infrastructures inchangées), voire augmentent, compte tenu du raccordement des nouveaux méthaniseurs pour acheminer le gaz vert. La Commission de régulation de l’énergie a ainsi décidé d’augmenter de 23 % les coûts d’acheminement au 1er juillet 2024. Cet accroissement augmentera mécaniquement le prix du MWh gazier moyen de 11 %.
Baisser ou bloquer les prix du gaz : quels leviers, pour l’État ?
Si les coûts commerciaux contribuent en partie à la marge des fournisseurs, ils intègrent aussi les certificats d’économie d’énergie (CEE) destinés à subventionner des travaux d’isolation ou de changement d’équipement de chauffage dans les logements.
Parallèlement, il faut citer, parmi les taxes, la TICGN (taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel) en partie destinée à financer les chèques énergie, à subventionner le biométhane mais aussi, et surtout, la taxe carbone. Le gouvernement a profité de la baisse des prix de gros pour doubler sans vergogne, mais aussi sans en faire publicité, la TICGN au 1er janvier 2024 (de 8,4 €/MWh à 16,4 €/MWh).
Les CEE et les investissements dans les gaz verts étant destinés à accélérer la transition énergétique (ils comptent pour 20 % de la facture !), aucune formation politique ne souhaite légitimement y toucher. Bien au contraire, la TICGN subventionnant aujourd’hui le biogaz à hauteur de 700 M€/an est appelée à augmenter fortement.
Le seul levier possible reste donc la réduction de la TVA à 5,5 %. Déjà appliquée à la part fixe de la facture, elle reste actuellement au taux de 20 % sur la part variable. Cette stratégie choisie par le Rassemblement national aurait un coût de 3,2 milliards d’euros par an pour l’État. Elle réduirait mécaniquement le prix du MWh de 10 € et la facture annuelle d’un consommateur gazier moyen de 120 €. Pas de quoi accroître significativement le pouvoir d’achat du Français moyen.
Quant au blocage des prix envisagé par le Nouveau Front populaire, il ne pourrait conduire qu’à une pénurie immédiate, aucun distributeur n’acceptant de fournir du gaz à perte. Les plus démunis, déjà aujourd’hui en grande précarité énergétique, en seraient, comme à l’accoutumée, les premières victimes.
(article écrit avec la collaboration de François Henimann, ancien cadre dirigeant EDF-GDF et consultant indépendant)