Des fonds « durables » qui investissent dans des entreprises pétrolières ?

La finance verte n’échappe pas aux réalités de la transition énergétique. Il y a les discours, les engagements… et la réalité. En l’occurrence, des fonds d’investissements labélisés selon les critères dits ESG (Environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont parfois très loin de ce qu’ils promettent. Tout simplement, parce qu’ils jouent sur les trois objectifs qu’ils se donnent qui peuvent être parfois contradictoires. Ils permettent de choisir la gouvernance ou le social plutôt que l’environnement. Les gestionnaires peuvent ainsi constituer des fonds ESG qui investissent dans presque n’importe quelle entreprise. Cela ne viole aucune loi, mais revient tout de même à tromper le client.
 

Imaginez que vous achetiez un sandwich avec du houmous, des tomates et de la laitue, étiqueté en gros caractères « végétarien ». Après l’avoir mangé, vous découvrez qu’il contient du jambon. Cela serait illégal et dérangeant pour les consommateurs. Mais s’il en était de même pour des fonds d’investissement ? Et plus particulièrement, pour des fonds labélisés comme ayant à cœur les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) ? En étudiant un fonds labélisé durable ou ESG, serait-il possible d’y trouver des investissements dans les combustibles fossiles ?

La question de la finance durable intéresse de plus en plus les Français selon une étude publiée par l’Autorité des Marchés Financiers, le régulateur français des marchés. La question avait aussi récemment été posée par une enquête publiée dans Le Monde.

Dans une recherche à paraître, j’ai analysé les fonds négociés en bourse des deux plus grands gestionnaires d’actifs au monde, BlackRock et Vanguard : seulement 9% des fonds ESG ou durables BlackRock sont exempts de combustibles fossiles. Pour Vanguard, les informations sont moins transparentes, mais les données disponibles ne montrent pas d’investissements dans les combustibles fossiles pour les fonds ESG étudiés.

De fausses étiquettes ESG?

Sur les 82 fonds ESG de BlackRock analysés, aucun ne contient des actions d’ExxonMobil ou de BP, deux des plus grandes entreprises de combustibles fossiles. En revanche, ces fonds incluent des actions de Saudi Aramco, Gazprom ou Shell. Cela suggère que BlackRock évite certaines entreprises en en incluant d’autres. Mais les critères exacts utilisés pour ces choix restent flous. Pourquoi Gazprom serait-il meilleur que BP ?

Cette question est d’autant plus pertinente que les régulateurs commencent à examiner ce que signifie le greenwashing pour les grands investisseurs. En mai 2022, les autorités de régulation allemandes ont mené une opération policière chez DWS, la branche d’investissement de Deutsche Bank, à la recherche de preuves de fausses étiquettes ESG. Gary Gensler, président de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’équivalent américain de l’AMF, a, lui, comparé la situation à l’étiquetage des produits alimentaires.

Il affirme sur les réseaux :

« S’il est facile de savoir si le lait est sans matières grasses en regardant simplement l’étiquette nutritionnelle, il est peut-être temps de faciliter la vérification de la véritable nature des fonds “verts” ou “durables” ».

Il l’explique plus amplement dans une vidéo de 3 minutes disponible en ligne, dans un effort de communication sur le sujet. Malgré cette bonne volonté, la SEC vient néanmoins de repousser la date de publication de nouvelles régulations sur les fonds verts.

Premiers de classe ou espoirs de changement?

Un des grands problèmes des fonds ESG, est qu’ils ont trois objectifs. Ils peuvent ainsi choisir une entreprise avec une excellente gouvernance (critère G) mais un bilan écologique désastreux. Une récente étude de l’OCDE montre de plus que le critère Environnemental (E) est très différent d’une agence de notation à une autre. Les fonds peuvent ainsi produire un fonds ESG contentant plus ou moins n’importe quelle entreprise, en jouant avec les trois lettres et les différentes agences de notation.

Une autre technique utilisée par les fonds est de construire des index « best-in-class » (« meilleur d’une catégorie »). Au lieu d’investir dans toutes les entreprises de charbon, par exemple, les gestionnaires n’investissent que dans les moins polluantes, bien que ces entreprises « moins polluantes » restent souvent beaucoup trop polluantes. Sans divulguer clairement les critères de choix, il est ici impossible pour les investisseurs de comprendre pourquoi certaines entreprises sont incluses et d’autres exclues.

Quand ils n’utilisent pas cette approche, les fonds affirment qu’ils essaient de changer les entreprises dans lesquelles ils investissent. L’approche est louable, mais la dernière COP était claire, nous devons sortir des énergies fossiles, et non les améliorer. Certes, certaines entreprises européennes comme Shell, Total ou BP ont affiché des efforts de verdissement. Pour de grandes firmes entreprises américaines en revanche, aucune volonté de transition ne transparaît.

Mais que font l’AMF et le SEC?

Inclure des entreprises de combustibles fossiles dans des fonds étiquetés ESG ne viole actuellement aucune loi, mais soulève clairement des préoccupations éthiques. Alors que vendre un produit contenant de la viande comme végétarien est illégal, vendre un produit étiqueté ESG avec certaines des entreprises causant des dommages sur l’environnement est encore acceptable et légal. Cela pourrait changer si des régulateurs comme la SEC et l’AMF parvenaient à faire passer de nouvelles lois réglementant ces questions.

L’AMF a pris position dans un rapport en février 2023 en questionnant les articles 8 et 9 du règlement européen SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation). L’article 8 concerne les produits financiers qui ne sont pas explicitement labélisés vert (mais ont des visées ESG) et l’article 9 s’applique aux produits financiers qui ont des objectifs durables explicites. L’AMF a proposé des critères minimaux environnementaux pour les produits financiers relevant de ces deux articles afin de réduire l’écoblanchiment et d’assurer une plus grande transparence et fiabilité des allégations de durabilité.

Pour les décideurs, il s’agira de définir clairement si les entreprises sont incluses dans un portefeuille pour leur impact environnemental, social ou de gouvernance, ou pour une combinaison des trois. Montrer clairement la contribution E, S et G de chaque actif est essentiel car les recherches de l’OCDE montrent que les critères environnementaux ne sont pas utilisés de manière cohérente par les différents fournisseurs de notations.

Si pour l’alimentation, la transparence et la régulation sont de mise, le monde de la finance a encore du travail. Une plus grande transparence et de critères plus rigoureux dans l’étiquetage ESG ou durable sont nécessaires. Les investisseurs ont le droit de savoir exactement où vont leurs fonds et sur quels critères ces décisions sont fondées. En attendant une régulation plus stricte, les investisseurs doivent faire preuve de vigilance et de discernement lorsqu’ils choisissent des produits d’investissement étiquetés « ESG ».

Alain Naef Assistant Professor, Economics, ESSEC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.

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