Énergie : quand la réalité ne cesse de démentir (sèchement) les plans de la Commission européenne

Malgré des ambitions vertes affichées, la production d’électricité issue du gaz et du charbon a bondi en 2025 dans l’Union européenne. L’éolien s’essouffle, le stockage reste marginal, et le réseau devient instable. Pour l’expert Samuel Furfari, les plans de la Commission européenne reposent sur des dogmes irréalistes. Seul un retour au pragmatisme énergétique permettrait de sauver l’industrie européenne tout en assurant la sécurité d’approvisionnement.

Atlantico : Sur les enjeux liés à l’énergie en Europe, au cours des six premiers mois de 2025, la production d’électricité issue des combustibles fossiles dans l’Union européenne a augmenté de 13 % par rapport à la même période en 2024. Dans le même temps, certaines énergies renouvelables ont montré des signes inquiétants de faiblesse. La production éolienne, notamment, a connu sa plus forte chute. Dans ce contexte, en quoi cette réalité vient-elle démentir les objectifs affichés par la Commission européenne ? Quel est l’état actuel du secteur énergétique en Europe ? Les faits et les chiffres ne contredisent-ils pas les plans européens ?

Samuel Furfari : Il ne faut pas perdre de vue que des chiffres semestriels peuvent masquer d’autres réalités. Ils ne doivent donc pas servir de base à une vision prospective. C’est intéressant, certes, mais il faudrait observer s’il y a une confirmation de la tendance au second semestre, puis dans les années suivantes. Personnellement, je ne fonde pas mes analyses sur des données semestrielles. C’est comme pour les prix du pétrole : certains élaborent des projections à partir de hausses ou de baisses ponctuelles, alors que l’essentiel repose sur des dynamiques structurelles.

Ce qui importe, ce sont les politiques de fond. L’Union européenne a choisi de miser, autant que possible, sur l’éolien et le solaire. Certains pays avancent à marche forcée dans cette direction, d’autres y adhèrent plus fermement – c’est le cas de l’Espagne, par exemple, qui a fortement investi dans ces énergies ces dernières années. Mais d’autres pays hésitent, car ils mesurent la difficulté de concrétiser les ambitions de la Commission.

Il est vrai que les énergies renouvelables ont représenté une part significative en 2024 : l’éolien et le solaire ont constitué un tiers de la consommation d’électricité en Europe. En ajoutant les 13 % issus de l’hydroélectricité, on atteint 46 %, ce qui est considérable. On pourrait alors en conclure que la Commission est sur la bonne voie. Cependant, ces chiffres masquent une autre réalité : l’instabilité croissante du réseau électrique.

Cette instabilité rend le réseau de plus en plus fragile. On l’a vu notamment avec le black-out en Espagne, le 28 avril dernier. Les choses ne vont cesser de se compliquer. Est-ce que les chiffres du premier semestre reflètent déjà cette instabilité ? C’est possible. Mais dans tous les cas, le vent et le soleil sont des ressources naturellement variables au fil de l’année, ce qui peut en partie expliquer ces évolutions.

Malgré les milliards d’euros investis dans l’éolien et le solaire, l’Europe n’est pas encore parvenue à mettre en place des solutions robustes pour compenser leur intermittence : le stockage d’énergie reste marginal, les réseaux sont insuffisamment interconnectés, et le nucléaire a été délaissé. Finalement, les ambitions climatiques de l’Union ne sont-elles pas suspendues aux caprices de la météo ? Cela ne traduit-il pas un système fragile, mal conçu et mal planifié ?

 

Samuel Furfari : Les experts de l’énergie ont toujours alerté sur le fait que l’éolien et le solaire sont des sources intermittentes. Ce constat est aujourd’hui très médiatisé, mais il était connu depuis longtemps. Il y a des nuits sans soleil, et il y a des jours sans vent : c’est une évidence. Pourtant, les décideurs politiques ayant voulu imposer les renouvelables ont longtemps évité d’aborder cette question. L’intermittence est une caractéristique intrinsèque de ces énergies.

Quant au stockage, il s’agit d’une utopie. Tout le monde sait, par exemple avec un simple téléphone portable, combien il est difficile de stocker durablement de l’énergie, même pour des usages minimes. Il n’existe aujourd’hui aucune solution pour stocker la production d’une centrale électrique de manière viable. Ce n’est techniquement ni économiquement réalisable. En Europe, on peut stocker quelques minutes d’électricité pour absorber une perturbation ponctuelle sur le réseau. Mais stocker plusieurs heures ou plusieurs jours de production : cela n’existe pas, et cela n’existera probablement pas, en raison de son coût exorbitant.

Les Allemands, conscients de cette limite – mais sans jamais le reconnaître – ont misé sur l’hydrogène comme solution de substitution. Dès que la Commission européenne a proposé cette voie, j’ai écrit un ouvrage intitulé “L’utopie de l’hydrogène” pour démontrer l’incohérence de cette stratégie. Les faits m’ont donné raison. L’hydrogène est une illusion, qui n’a pas sa place dans une politique énergétique sérieuse. Encore la semaine passée, on apprenait que Stellantis renonçait également à cette technologie. C’est un échec total.

Donc il n’y a pas de solution de stockage. L’hydrogène ne fonctionne pas. Que reste-t-il ? Pas grand-chose. Il faut continuer à compenser les fluctuations de la production avec de l’électricité produite par des moyens pilotables : le gaz, parfois le nucléaire ou même le charbon. Mais c’est surtout le gaz qui permet une certaine flexibilité pour répondre à l’intermittence des renouvelables.

Cette difficulté ne disparaîtra pas. Elle est structurelle. Avant-hier, j’ai appris qu’aux Pays-Bas, les autorités avaient encouragé massivement l’installation de panneaux solaires domestiques. Désormais, lorsqu’il y a beaucoup de soleil vers midi, le réseau est confronté à de graves problèmes de stabilité. Le gouvernement ne sait plus comment gérer la situation. Le soleil produit de l’électricité quand il le souhaite, alors que les besoins de consommation ne suivent pas forcément le même rythme. C’est un problème fondamental. Il est regrettable que les responsables politiques aient refusé de le reconnaître pendant si longtemps.

Quelles que soient les tentatives des politiques européennes pour limiter l’approvisionnement en combustibles fossiles, est-ce que le gaz naturel et le charbon ne resteront pas des outils indispensables au service public européen, pour encore de nombreuses années ?

Samuel Furfari : En 2000, la Commission européenne avait publié un livre vert intitulé Vers une sécurité d’approvisionnement énergétique de l’Union européenne. Ce document affirmait explicitement que les deux « mal-aimés » – selon les termes employés à l’époque – à savoir le charbon et le nucléaire, restaient nécessaires.

Aujourd’hui, le nucléaire a retrouvé une forme de crédibilité qu’il avait perdue à cause de choix politiques. En revanche, le charbon reste mal perçu. Pourtant, il représente encore environ 11 % de la production d’électricité en Europe. Ce n’est pas négligeable. Les pays qui y ont encore largement recours, notamment la Pologne et l’Allemagne, ne sont pas prêt à s’en passer.

Le charbon, en particulier l’hiver, dans les pays disposant de centrales thermiques, offre une certaine flexibilité, un peu comme le gaz. Il ne sera donc pas abandonné en Allemagne, car le développement massif de l’éolien et du solaire nécessite un soutien flexible, un système de secours. Et ce soutien, en l’absence du gaz russe, repose soit sur le gaz importé, soit sur le charbon. Ainsi, malgré les critiques liées aux émissions de CO₂, l’Allemagne continuera à utiliser du lignite, l’énergie qui émet le plus de dioxyde de carbone.

Aux États-Unis, il y a eu un boom du gaz de schiste, qui a largement remplacé la production d’électricité à base de charbon. Mais il reste des réserves, d’ailleurs les plus grandes du monde, et le charbon continue d’avoir certains avantages. Il est possible que les États-Unis, pour des raisons géopolitiques, choisissent d’exporter davantage de gaz et de conserver le charbon pour leur propre production.

Il ne faut pas non plus oublier la Chine, où 53 % de l’électricité est encore produite à partir du charbon. Et le véritable record mondial en la matière, c’est l’Indonésie – dont on parle très peu. L’Europe, en cherchant à se concentrer exclusivement sur certaines formes d’énergie, adopte une approche manichéenne. Or, le manichéisme n’est jamais pertinent, surtout pas dans le domaine complexe de l’énergie.

On observe une hausse de 13 % de la production d’électricité à partir de combustibles fossiles dans l’Union européenne en 2025, et même une augmentation de 19 % pour le gaz naturel. À la lumière de ces chiffres, en quoi les priorités énergétiques réelles des États membres contredisent-elles les plans de la Commission européenne ? La réalité de la consommation n’est-elle pas en décalage avec les orientations politiques ? Et quelles pistes faudrait-il envisager pour élaborer une politique plus en phase avec les besoins réels ?

Samuel Furfari : Si l’on souhaite – et je pense que tout le monde le souhaite, à l’exception de certains écologistes radicaux – retrouver une industrie européenne prospère, créatrice d’emplois et génératrice de richesse pour tous, alors il faut impérativement baisser le prix de l’électricité en Europe. C’est une priorité absolue.

Or, la politique du Pacte vert de la Commission européenne conduit à une hausse inadmissible des prix. Ce phénomène ne date pas d’hier. Il a commencé dès 2010, à la suite des obligations instaurées dès 2009 pour développer les énergies renouvelables. Progressivement, cela a entraîné une augmentation des prix. La faute a rapidement été rejetée sur le gaz russe, mais le fond du problème réside dans l’imposition des renouvelables, soutenues par des subventions. Tout cela découle directement de la politique européenne.

On voit aujourd’hui clairement que cette orientation était une erreur. La solution serait d’abandonner le Pacte vert et de revenir à des approches plus pragmatiques, comme celles que nous appliquions auparavant. Ce n’était pas une époque d’ignorance : nous savions déjà ce qu’il fallait faire. Mais il n’y avait pas encore ce dogme de la décarbonation.

C’est précisément ce dogme qui a poussé au développement précipité des énergies renouvelables et, par conséquent, à l’augmentation du prix de l’énergie. On ne peut pas tout avoir : prétendre ne recourir qu’aux renouvelables tout en préservant l’industrie, ce n’est pas possible. Si l’on veut réellement sauver l’industrie européenne, il faut cesser de croire qu’une seule solution renouvelable peut suffire. Et surtout, il faut arrêter les subventions.

J’ai réalisé une étude approfondie sur le dernier rapport Statistical Review of World Energy, publié chaque année. Ce rapport dresse un panorama global de la situation énergétique mondiale. On entend souvent que les énergies renouvelables progressent, mais dans les faits, elles ne représentent qu’un peu plus de 5 % de la consommation mondiale. Quant aux énergies fossiles, on dit souvent qu’elles représentent environ 80 %, mais en réalité, elles atteignent 86,7 %.

C’est un chiffre extrêmement parlant. Cette étude permet de comprendre à quel point les énergies fossiles continuent de se développer. Certes, les renouvelables progressent aussi, mais les énergies fossiles augmentent sept fois plus vite. Ceux qui défendent l’éolien peuvent se féliciter de leur croissance, mais ils oublient que, dans le même temps, les fossiles avancent bien plus rapidement. 

Nos articles sont généralement publiés sous licence Creative Commons CC BY-NC-SA

Ils peuvent être reproduits sous la même licence, en en précisant la source, et à des fins non commerciales.

Laisser un commentaire

Les commentaires sont modérés avant d’être publiés, restez courtois.

Derniers commentaires :

Formulaire de contact

Recevoir la Newsletter hebdomadaire