Améliorer la culture scientifique de base des Français leur permettrait de déceler plus aisément les carabistouilles.
Par Bernard Durand et Michel Gay.
Au ministère de la Culture, il n’existe pas de direction générale de la « Culture scientifique » alors qu’il en existe une pour la création artistique, une autre pour les médias et les industries culturelles, et une troisième pour la transmission culturelle, les territoires et la démocratie culturelle. Même le mot science n’apparaît pas dans ces intitulés.
Culture scientifique ?
La terminologie même de culture scientifique a évolué. Elle est passé de « culture scientifique », déjà difficile à appréhender, à « culture scientifique, technique et industrielle ».
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en 1993 :
« La culture scientifique est un ensemble de capacités, de connaissances et de savoir-faire spécifiques s’accompagnant d’un regard critique sur la science et ses rapports avec d’autres champs de l’activité humaine, y compris la technologie. Cette forme de culture est indispensable dans toute société si l’on veut vraiment aider les individus à savoir maitriser le cours des choses, améliorer la qualité de vie et leur proposer un avenir viable. »
Selon la Société Française de Physique :
« La culture scientifique est une part importante de la culture générale. Mais elle apparaît comme une grande oubliée des programmes des candidats à l’élection présidentielle. Et pourtant la culture scientifique est nécessaire à la formation des citoyens français, vu le rôle majeur joué par les sciences et techniques dans le monde moderne ».
Jusqu’à présent, nos gouvernants n’ont, semble-t-il, jamais compris la culture autrement que littéraire, philosophique ou artistique. Un timide changement semble avoir eu lieu en 2012 avec la création du Conseil national de la culture scientifique et industrielle (CNCSTI), confirmé en 2014.
Mais ce n’est là qu’un des nombreux conseils et comités gravitant autour du ministère de la Culture et dont il est difficile de savoir en quoi il a contribué à un quelconque progrès de la culture scientifique dans la population.
La même indigence règne toujours sur ce sujet en France et le concept même de « culture scientifique » reste absent de nos médias et dans les discours politiques et donc dans l’opinion.
Associer les mots « culture » et « scientifique » serait-il devenu un oxymore, au même titre que l’expression « silence assourdissant » ?
Le développement de la culture scientifique générale est pourtant un enjeu majeur, même… parmi les scientifiques.
Beaucoup de scientifiques prétendent en effet tout évaluer à l’aune de leur discipline, la seule qu’ils connaissent bien. Mais une vision large et des recoupements avec d’autres disciplines sont souvent nécessaires pour bien comprendre un vaste sujet comme celui de la production d’énergie pour une nation par exemple.
Une coopération
Une coopération entre les disciplines scientifiques se révèle d’autant plus nécessaire que la réflexion porte sur des sujets complexes, tels que le climat, l’énergie ou encore la disponibilité des ressources naturelles.
Buffon disait déjà en 1753 dans son Discours sur le style :
« Pour peu que le sujet soit vaste ou compliqué, il est bien rare qu’on puisse l’embrasser d’un coup d’œil, ou le pénétrer en entier d’un seul et premier effort de génie ; et il est rare encore qu’après bien des réflexions on en saisisse tous les rapports ».
Le phénomène est plus marqué encore dans le monde académique où chacun creuse son sillon dans sa discipline, que dans le monde industriel qui fonctionne plutôt par projets associant des disciplines.
Le mathématicien Cédric Villani par exemple (qui a reçu la Médaille Fields de mathématiques équivalent au prix Nobel dans cette discipline) a paru peu à l’aise à la tête de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), alors qu’il est certainement très brillant en mathématiques.
Cette absence quasi générale de culture scientifique des politiques et journalistes, et même paradoxalement maintenant de plus en plus chez nos scientifiques, est sans doute une des difficultés dans l’enseignement des sciences en France, et une des causes de son déclin.
Une intervention groupée de scientifiques auprès du ministère de la Culture et à la télévision pourrait faire bouger les lignes face au mur des habitudes et des administrations. Cette action mettrait peut-être fin à cette anomalie culturelle par la mise en place de moyens enfin efficaces de diffusion et de valorisation de la culture scientifique dans notre pays, en particulier vers les plus jeunes.
Les ministres ne peuvent pas être omniscients
Les ministres ne maîtrisent généralement pas les sujets techniques complexes dont ils sont responsables, tels que l’énergie et l’électricité. Et cela a pratiquement toujours été le cas.
Mais la grande différence entre aujourd’hui et il y a 50 ans, c’est qu’alors, les ministres s’appuyaient alors sur des services et des cabinets compétents.
Le général de Gaulle et le ministre Pierre Messmer n’étaient pas des professionnels de l’électricité ni du nucléaire mais ils étaient conseillés par des carrures scientifiques compétentes comme Robert Galley.
A contrario, l’audition à l’Assemblée nationale le 13 décembre 2022 de Laurent Michel, le patron de la Direction de l’énergie et du climat (DGEC) depuis 12 ans qui a vu passer 10 ministres en charge de l’énergie, a eu de quoi inquiéter. Ce haut responsable semblait témoigner d’un manque de clarté d’esprit et de détermination. Son côté louvoyant aurait-il un lien avec sa longévité inhabituelle à la tête d’une direction d’administration centrale (12 ans…) ?
Il est pourtant ingénieur général des Mines et possède donc a priori les compétences nécessaires pour comprendre la situation et les rapports explicites que lui transmettait l’ancien Haut-Commissaire à l’Énergie Atomique Yves Bréchet.
Ce dernier a été remplacé en janvier 2019 par Patrick Landais, un homme « parfait ». Il n’a fait aucune note pour le gouvernement, persuadé, a-t-il dit, que cela ne servirait à rien et n’a jamais été consulté selon ses propres déclarations lors de son audition le 15 décembre 2022 devant la Commission d’enquête sur la souveraineté et l’indépendance énergétique, juste avant de partir en retraite.
La situation énergétique déplorable de la France résulte donc aussi de l’inaction des hauts responsables de l’administration choisis par le pouvoir politique. Ils ne sont pas incompétents, toutefois, on peut se demander s’ils ont été choisis pour leur compétence ou pour appliquer sans discussion les décisions de ce pouvoir, aussi absurdes qu’elles leur paraissent.
« Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire » aurait dit Einstein.
Science et politique…
Madame Élisabeth Borne est incontestablement une scientifique, même si elle n’a jamais pratiqué de métier nécessitant de bonnes connaissances dans ce domaine.
Mais, elle possède les « qualités » pour raconter des balivernes et développer ses « convictions » à géométrie variable. Est-ce l’apanage d’un bon politicien, même scientifique ? « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent » disait Edgar Faure.
Fermer une centrale nucléaire qui permettait à EDF de gagner de l’argent en supprimant 2200 emplois non délocalisables sans avoir au préalable réfléchi par quoi les remplacer pour éviter d’appauvrir un territoire et la France, voilà à quoi ses « compétences » scientifiques ont hélas servi !
Elle a signé le décret de fermeture de la centrale de Fessenheim (en s’en félicitant publiquement) au cri de « il ne faut pas mettre ses œufs dans le même panier ». Or, ce mantra est faux dans le domaine de la production d’électricité, car il ne sert à rien et coûte très cher aux Français d’ajouter des œufs pourris « intermittents » dans les autres paniers.
Son audition du 2 mars 2023 devant la commission d’enquête sur la souveraineté et l’indépendance énergétique est un festival de langue de bois, magnifiquement mené de bout en bout, avec un art consommé pour inverser la cause et l’effet.
Nos politiques semblent en effet incapables de raisonner rationnellement en matière d’énergie. Ils sont souvent crédules face à des charlatans ou des manipulateurs…, tout autant que l’opinion publique. Certains par manque de culture scientifique mais pour d’autres (Mme Merkel est physicienne, Mme Borne est polytechnicienne), la politique l’emporte sur la raison et l’intérêt général à long terme selon Arnaud Montebourg.
Des services défaillants aux ordres ?
Il semble aussi que RTE n’ait pas fait correctement son travail. Peut-être parce que ses ingénieurs n’avaient pas politiquement le droit de le faire sous la houlette du président de RTE François Brottes, auparavant député et rapporteur de la loi sur la croissance verte aux côtés de Ségolène Royal ?
Or, c’est sur ses scénarios que des décisions stratégiques de politiques énergétiques ont été prises.
Cela ne retire pas la responsabilité ni de l’agence d’État ADEME, supposée être au service du pays et non d’une idéologie, ni du ministère de l’Écologie et (hélas) de l’Énergie. Ces deux entités ont largement contribué à désinformer nos dirigeants, même si manifestement certains se sont aisément laissés faire parce que c’était « idéologiquement correct… ou politiquement plus facile »…
Lorsque la culture scientifique, qui n’est certes pas une panacée, entrera dans les mœurs, alors les politiques, espérons que les journalistes et les citoyens seront capables de faire la différence entre une puissance, qui s’exprime en kilowatt (kW) et une quantité qui s’exprime en kilowattheure (kWh)…
Ainsi, une moyenne sur une année de productions intermittentes d’électricité éoliennes et photovoltaïques n’a aucun sens s’il s’agit de répondre en permanence au besoin en puissance d’une nation. Un TGV ou un ascenseur n’avance pas par à-coups…
Aujourd’hui, beaucoup trop de hauts responsables politiques et de Français mélangent ces deux notions. C’est une source d’incompréhension et d’erreurs grossières dans les décisions stratégiques pour la politique énergétique de la France.
Améliorer la culture scientifique de base des Français leur permettrait de déceler plus aisément les carabistouilles. Il deviendrait ainsi plus difficile de les prendre pour des idiots et de leur tondre la laine sur le dos. Est-ce pour éviter cela qu’il y a depuis tant d’années dans notre pays si peu de moyens accordés à la promotion de cette culture scientifique ?
2 réponses
Il est clair que le niveau d’éducation général scolaire est en baisse, et donc que la capacité de chacun à regarder d’un esprit critique les âneries dont on nous abreuve est très affaiblie.
Mais le plus grave est la perte d’honnêteté scientifique dans le milieu scientifique lui-même. Autrefois on faisait confiance aux scientifiques dont l’esprit scientifique était inattaquable. Aujourd’hui, il n’en est rien. On assiste à des gens qui privilégient leur penchant politique à leur analyse scientifique, et qui s’accrochent à la doxa de leur clocher sans vergogne. Valérie Masson-Delmotte, une « scientifique » française du GIEC, vient pérorer à la télévision sur les gaz à effet de serre, alors qu’elle a les capacités intellectuelles pour comprendre qu’elle fait fausse route. Seulement voilà, tout le monde n’a pas le courage de reconnaître une erreur, et puis, il faut bien reconduire les subventions pour faire vivre le labo.
Je cite VMD :
« Sur ces questions climatiques, il existe aussi une forme de rupture, d’injustice, entre générations. Les pays occidentaux ont une responsabilité historique. Nous avons contribué involontairement à un cumul très important d’émissions de CO2. Les jeunes générations portent cela sur leurs épaules. Bien souvent, ceux qui ont des responsabilités et disposent de leviers d’action se défaussent de leur capacité à agir en faisant porter la charge mentale de l’action pour le climat sur les plus jeunes. J’ai été horrifiée lorsque j’ai entendu des députés, à qui je venais de présenter les conclusions de l’un des récents rapports du Giec, me dire : « mais tout va bien, les choses avancent puisqu’on enseigne le changement climatique aux enfants ». Si nous n’agissons pas aujourd’hui à la hauteur des enjeux, les plus jeunes devront s’adapter à un climat qui se réchauffe davantage avec des pertes, des dommages, mais aussi des coûts croissants. »
On croirait entendre Sainte Greta. Il me semble qu’elle s’écarte dangereusement de sa spécialité, la paléoclimatique !
Il est flagrant que ses convictions idéologiques priment sur ses travaux scientifiques. En tant que CEA moi-même je ne comprends pas qu’on lui lâche ainsi la bride sur le cou. C’est un cas typique d’ultracrépidarianisme, un défaut de plus en plus répandu à notre époque.
Que voulez vous , VMD comme Jouzel ont abandonné la science basée sur des observations dans le domaine des sciences naturelles dont fait partie le climat, pour intégrer le GIEC dont les occupations sont le futur des climats et de la terre en faisant des modélisations basées sur la physique de l’atmosphère qu’on ne maîtrise qu’avec de grosses difficultés et approximations