Après avoir enregistré des pertes records en 2022, EDF a affiché en 2023 un redressement impressionnant et a dégagé un bénéfice net de 10 milliards d’euros. Tout ce qui a pesé sur les comptes du groupe énergétique public en 2022 – l’arrêt d’une grande partie du parc nucléaire pour des raisons de maintenance, la moindre production hydroélectrique du fait de la sécheresse et l’impact financier du bouclier tarifaire – ont été surmontés. Pour autant, les prochaines années seront encore une épreuve pour EDF compte tenu de conditions de marché moins favorables et des investissements financiers et humains considérables que l’entreprise doit mener pour prolonger la durée de vie de son parc nucléaire existant et pour lancer la construction de nouveaux réacteurs.
Après avoir enregistré des pertes historiques l’année précédente, le groupe énergétique public a dégagé en 2023 pas moins de 10 milliards d’euros de bénéfice net, conséquence notamment du redressement de sa production nucléaire. Quel contraste avec les résultats de 2022, une perte de 17,9 milliards d’euros, marqués notamment par les conséquences d’une baisse brutale de la production électrique nucléaire du fait de retards de maintenance et de la découverte d’un sérieux problème de corrosion sous contrainte de canalisations essentielles sur les réacteurs les plus récents qu’il a fallu réparer en urgence. Si on y ajoute l’impact de la sécheresse sur les performances des barrages, la France avait dû pour la première fois depuis 40 ans devenir importateur net d’électricité.
Et de n’est pas tout puisque le gouvernement a décidé de faire porter à la charge d’EDF une part importante du bouclier tarifaire instauré pour protéger les ménages français de l’envolée des prix de l’électricité. La facture a été pour le groupe public, qui n’en avait pas vraiment besoin, supérieure à 8 milliards d’euros. L’an dernier, EDF a été capable de remettre en service une grande partie de son parc nucléaire et n’a plus été victime cette fois de la gestion chaotique des finances publiques. « 15 des 16 réacteurs les plus sensibles au phénomène de corrosion sous contrainte ont été réparés à fin 2023 et le dernier sera traité lors de sa visite décennale qui commence en février 2024 », explique EDF.
Redressement de la production nucléaire, mais le plus mauvais résultat depuis 30 ans, en-dehors de 2022
Résultat, le nucléaire aura produit en 2023 quelque 320,4 TWh. En 2022, la production électronucléaire était tombée à 279 TWh, son plus bas niveau depuis plus de 30 ans. Mais il faut se garder de tout triomphalisme. La performance de 2023 reste le plus mauvaise depuis plus de 30 ans, en-dehors évidemment de celle de 2022, et la tâche pour retrouver un niveau de production plus satisfaisant reste immense.
Avec la fin des réparations urgentes liées à la corrosion sous contrainte, la disponibilité du parc français s’est certes améliorée tout au long de l’année 2023. Mais les perspectives ne sont pas radieuses pour autant. Avec la fin des opérations dites de grand carénage et des quatrièmes visites décennales des réacteurs du premier palier, la disponibilité du parc restera dégradée pendant plusieurs années encore. Ce qui n’empêche pas EDF de confirmer des objectifs de production électronucléaire compris entre 315 à 345 TWh en 2024 et entre 335 et 365 TWh en 2025 et en 2026. Les ambitions officieuses sont même d’atteindre 400 TWh en 2030…
A nouveau exportateur net d’électricité avec des prix encore élevés
Autre bonne nouvelle en 2023, la production hydroélectrique a augmenté de 19,4%, à 38,7 TWh gagnant 10 TWh sur l’année. Positionnée lors des heures de pointe hivernale, l’électricité hydraulique a été précieuse pour éviter de très coûteux imports lors des périodes de pics de demande. Il fait aussi souligner la forte progression des renouvelables, éolien et photovoltaïque, apportant à eux deux 15 TWh. L’électricité décarbonée, nucléaire, hydraulique, et renouvelable assure ainsi bien plus de 90% de la production française.
La remontée des productions nucléaire et hydraulique et la progression des renouvelables ont eu un double impact favorable. Tout d’abord, l’activité des centrales thermiques au gaz, charbon et fioul a sensiblement baissé. Ces centrales sont évidemment celles qui émettent le plus de gaz à effet de serre et dont le coût de fonctionnement est le plus élevé compte tenu du prix des combustibles.
Ensuite, la balance des échanges sur le marché de gros européen de l’électricité avait été, pour la première fois en 40 ans, déficitaire en 2022. La France a dû acheter de l’électricité allemande sortant des centrales à charbon au pire moment, quand les prix de gros étaient au plus haut. La situation est redevenue « normale » l’an dernier et d’importateur net de 16,5 TWh en 2022, la France a été exportatrice nette à hauteur de 50,4 TWh. Les prix sur les marchés étant restés élevés durant l’année 2023, ces exportations ont largement contribué à redresser la rentabilité de l’énergéticien français. Il convient aussi de noter que la hausse des tarifs réglementés à deux reprises durant l’année a permis à EDF d’augmenter sa marge sur les ventes aux particuliers.
Assainissement financier enfin engagé
Cette succession de bonnes nouvelles a permis à EDF, dont l’Etat français est redevenu l’unique actionnaire en juin dernier, de commencer enfin à assainir sa situation financière. Le groupe a ainsi réduit sensiblement sa dette financière nette la ramenant à 54,4 milliards d’euros en 2023 contre 64,5 milliards en 2022. Et il a pu également déprécier de 12,9 milliards d’euros la valeur de sa filiale britannique EDF Energy plombée par les difficultés à répétition du chantier des deux EPR d’Hinkley Point. Les années se suivent et se ressemblent pour les EPR dont les constructions sont toujours aussi compliquées et chaotiques. A l’image de celle de l’EPR de Flamanville en Normandie. Ce dernier devrait toutefois entrer enfin en service cette année après 18 années de travaux… Le chargement du combustible est prévu pour le mois de mars.
L’assainissement financier est en tout cas un signal plus que nécessaire à destination des marchés, à l’heure ou EDF va devoir lever énormément de capitaux pour tenir ses objectifs d’investissement dans un environnement économique moins favorable avec la baisse des prix de gros de l’électricité dès 2024.
Un mur d’investissements
Le Pdg d’EDF, Luc Rémont, n’est pas au bout de ses peines. Le groupe qu’il a commencé à redresser fait face maintenant à un véritable mur d’investissements. Il s’agit à la fois de maintenir, prolonger et renouveler son outil de production. Les opérations dites de grand carénage, nécessaires pour prolonger la vie des centrales au-delà de 40 ans, représentent une cinquantaine de milliards d’euros d’investissements. À cela s’ajoutent 96 milliards d’ici 2040 dans le réseau de distribution d’Enedis. Du côté des barrages, le blocage à Bruxelles sur l’ouverture des concessions à la concurrence pourrait enfin être levé et EDF aura alors la possibilité d’améliorer sensiblement les performances des installations existantes… en y investissant quelques milliards. Et pour finir, il y a le nouveau nucléaire. C’est-à-dire pas moins de 60 milliards d’euros pour construire dans un premier temps, et le plus rapidement possible, au moins six EPR2.
Philippe Thomazo