Certains constructeurs automobiles européens demandent à l’Union européenne d’activer une procédure d’urgence pour décaler de deux ans l’application, prévue en 2025, de règles renforcées sur les émissions de CO2, selon un document cité par Bloomberg et Le Monde.
Le document émane de Renault et de Luca de Meo, son patron, qui est également président de l’Association des constructeurs européens d’automobiles à Bruxelles (ACEA), lobby du secteur auprès de l’UE. « Il faut qu’on nous donne un peu de flexibilité », plaidait Luca de Meo début septembre. « Mettre simplement des échéances et des amendes sans avoir la possibilité de flexibiliser ça, c’est très dangereux. »
Le marché automobile européen a fortement baissé au mois d’août, entraîné notamment par la morosité des marchés allemand, français et italien, selon les chiffres publiés le 19 septembre de l’ACEA. Mais une application trop stricte de la norme CAFE en 2025 pourrait être le coup de grâce de l’industrie européenne.
Les ventes de voitures électriques ont enregistré leur quatrième mois de baisse en août (-43,9 %), repassant sous la barre des 100.000 véhicules. Après plusieurs années de forte progression, les ventes de voitures électriques ont enclenché une marche arrière. Les immatriculations ont notamment reculé au mois d’août en Allemagne, en France, en Espagne, en Italie et en Suède, mais continuent à croître en Belgique ou au Danemark. Le leader du secteur, Tesla, a vu ses ventes reculer de 43,2 % sur un an.
Sur ce marché en repli, les voitures hybrides (avec un moteur électrique, mais que l’on ne doit pas brancher pour les recharger) sont les seules à progresser en août (+6,6 %), à plus de 200.000 unités. Elles représentent désormais presque un tiers du marché (31,3 %), contre 24 % en août 2023. Les modèles hybrides rechargeables (avec une batterie électrique qu’il faut brancher) ont aussi reculé (-22,3 %) sur la plupart de leurs marchés et représentent 7,1 % des immatriculations.
Les voitures à essence ont baissé de 17,1 % sur un an, mais dominent toujours le marché de quelques calandres, avec 33,1 % des immatriculations. Les ventes de modèles diesel sont en chute libre sur la plupart des marchés européens (-26,4 %) et représentent 11,2 % du marché.
Un temps pionnier de l’électrique, le groupe Renault affiche un faible taux de véhicules à batterie dans ses ventes. Le numéro 1 européen, l’allemand Volkswagen a, de son côté, enchaîné les déboires avec ses modèles électriques, et vient d’annoncer un plan d’économies drastique.
Cette baisse des ventes de voitures électriques est notamment due à la baisse des subventions publiques dans certains pays, à des infrastructures de recharge insuffisantes, mais aussi à la venue de normes plus sévères d’émissions de CO2. Quelques constructeurs, parmi lesquels Renault et Volkswagen, demandent un report du renforcement des normes d’émissions de CO2 prévu pour 2025.
Suivre la norme CAFE ou écoper de lourdes amendes
Les ventes de voitures électriques n’étant pas aussi fortes que prévu, certains constructeurs demandent de la flexibilité à l’Europe sur les normes d’émissions de CO2.
Les constructeurs doivent respecter une moyenne annuelle d’émissions par voiture vendue, sous peine de lourdes amendes. Cette norme dite CAFE (Corporate Average Fuel Economy) a été globalement respectée jusqu’ici : les constructeurs étaient notamment poussés par l’explosion des ventes de voitures électriques, mais aussi par l’amélioration des véhicules thermiques et hybrides.
Mais la CAFE doit être renforcée à partir de janvier 2025, à 93,6 grammes de CO2/km en moyenne (une Renault Clio thermique de base en émet 120, par exemple, une Clio hybride, 95 et une Mégane électrique zéro), alors que les ventes de voitures électriques ont commencé à baisser depuis la fin 2023.
Les électriques sont aussi freinées par d’autres facteurs : l’Allemagne a supprimé les bonus à l’achat, les modèles d’entrée de gamme arrivent tout juste sur le marché, et les acheteurs s’inquiètent de l’autonomie limitée et des réseaux de recharge encore insuffisants.
La CAFE pousse les constructeurs à vendre moins de voitures thermiques, sur lesquelles les marges sont meilleures, mais aussi à baisser fortement les prix de leurs modèles électriques pour en augmenter les ventes. Autrement, ils risquent jusqu’à 13 milliards d’euros d’amendes.
Selon Philippe Charlez, directeur de l’Observatoire Énergie-Climat de l’institut Sapiens, interviewé par Epoch Times, « toutes ces considérations nous ramènent à la question clé d’un objectif 2035 trop ambitieux. Amener aussi rapidement l’industrie automobile européenne au tout électrique représente un risque inconsidéré. D’autant que les Chinois et les Indiens ne baissant pas leurs émissions, l’effort sera insignifiant en termes de climat. En suivant les normes européennes, l’industrie automobile européenne (qui représente 15 millions d’emplois) est en train de se ‘suicider sur l’autel de la vertu’. »
Trois scénarios impossibles pour éviter les amendes
Pour tenir les nouveaux objectifs, les constructeurs devraient vendre en moyenne une voiture électrique pour quatre véhicules thermiques, soit 20 % de la production, alors que les voitures électriques représentent 12,5 % des ventes de voitures neuves en Europe, depuis le début de l’année, et que le marché est en baisse.
Or, le marché européen de l’électrique « stagne depuis plus d’un an à moins de 15 % pour les voitures particulières et à 7 % pour les utilitaires », rappelle la note reçue par Bloomberg et Le Monde.
L’objectif de cette note était de demander le report de 2025 à 2027 du durcissement de la norme CAFE. Pour obtenir ce report, le texte « plaide pour l’utilisation d’une disposition méconnue, l’article 122.1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), une sorte de 49.3 européen, qui permettrait de différer dans l’urgence l’application d’une réglementation, en court-circuitant le Parlement de Strasbourg ».
« Les pénalités pourraient atteindre treize milliards d’euros pour les voitures particulières et trois milliards pour les véhicules utilitaires », avertit le document, qui présente trois scénarios futurs si l’article 122.1 n’est pas utilisé.
Une première solution consisterait à réduire la production de véhicules thermiques de plus de deux millions d’unités et celle de camionnettes de 700.000 unités, « soit l’équivalent de plus de huit usines européennes », avec les pertes d’emplois associées.
La deuxième consiste à s’entendre avec des constructeurs américains ou chinois (Tesla, Volvo, filiale de Geely, ou MG par exemple) pour leur racheter des crédits-carbone. Cette solution reviendrait à subventionner les concurrents non-européens et de toute façon « ne suffirait pas », avertit le document.
La troisième piste serait que les États augmentent les subventions à l’achat de véhicules électriques, mais ils font l’inverse, ou encore que les constructeurs baissent les prix pour atteindre une part de marché de 22 % des véhicules électriques.
Une révision urgente des normes d’émission de CO2 demandée
Le gouvernement italien va demander à la Commission européenne d’avancer la révision des limites d’émissions de CO2 pour les constructeurs automobiles, prévue en 2026, a indiqué en début de semaine le ministère des Entreprises italien.
Le ministre Adolfo Urso va proposer d’activer dès les premiers mois de 2025 la « clause de revoyure » du règlement européen de 2023, avec l’appui de certains constructeurs, lors d’une réunion consacrée à l’industrie automobile, organisée par la présidence hongroise du Conseil de l’UE et lors du Conseil européen sur la compétitivité, prévue le 26 septembre.
La Fédération des constructeurs automobiles allemands avait aussi appelé à une révision des objectifs européens dès 2025 : « L’écart grandit entre les objectifs ambitieux de régulation des flottes et les infrastructures qui doivent les soutenir », comme les stations de recharge électrique, a souligné sa présidente, Hildegard Müller, demandant des « contre-mesures ».
La Commission européenne devrait réexaminer bientôt « si les conditions sont réunies pour atteindre ces objectifs », semble savoir un porte-parole de Volkswagen. De l’autre côté, des écologistes mais aussi des constructeurs comme le n°2 européen du secteur, Stellantis, plaident pour une stabilité des normes, et le maintien d’objectifs ambitieux de baisse des émissions.