Que les KW soient consommés bruts ou transformés, immédiatement ou en différé à partir de stockage, quelle qu’en soit la forme, le consommateur en attend prioritairement une accessibilité permanente en quantité et en qualité.
Qu’on le veuille ou non, le lot des règnes animal et végétal est à tout instant la cueillette de KW à laquelle leur existence est suspendue. La quantification en KWh de cette cueillette par les hommes n’est tangible qu’à travers sa transformation en mouvements de toutes natures et en formes innombrables de la matérialisation du réel terrestre.
Ici-bas, aucune créature animale ou végétale n’a encore trouvé le moyen de créer ex nihilo une source de KW distincte de celles que l’Univers planétaire met constamment à sa disposition, ou de celle, résiduelle, de la création et du vécu de ce dernier.
Le genre humain n’échappe pas à cet implacable ordre des choses. Si ses cueilleurs-détaillants savent aujourd’hui proposer à leurs clients des KW customisés, leurs incontournables grossistes se compteront encore longtemps sur les doigts d’une main : gisements pétrolier, gazier, charbonnier, nucléaire et solaire sous ses formes hydraulique, aérologique, photovoltaïque, thermique ou autre bio-massique.
Que les KW soient consommés bruts ou transformés, immédiatement ou en différé à partir de stockage, quelle qu’en soit la forme, le consommateur en attend prioritairement une accessibilité permanente en quantité et en qualité.
L’économie et le commerce font ensuite que, comme pour la cueillette de n’importe quel fruit, la cueillette des KW trouvant le plus preneur est celle qui coûte le moins cher.
Ainsi, prend-on conscience de deux choses :
- l’exigence du caractère ininterrompu de la génération de puissance fait que la concurrence ne peut s’exercer qu’entre ses outils de production ;
- la fourniture de puissance est d’autant meilleur marché que les distances physique, administrative et commerciale entre le producteur et le consommateur sont courtes.
Dès lors, quoi de plus naturel pour un pays que se doter de l’outil chargé de lui fournir à chaque instant les KW nécessaires à le garder en vie ? Les Français ont longtemps joui des services d’un tel outil puisant de surcroît les KW aux fontaines énergétiques les plus prodigues et les leur acheminant suivant les préceptes ci-dessus.
C’était avant que ne sévisse chez eux la déraison marchande et écolo-dogmatique de l’UE.
Cet outil entretenait alors avec l’État une relation pouvant être sommairement représentée comme suit, à ceci près que le premier n’a jamais versé de dividende au second jusqu’au milieu des années 90, pour la bonne raison que son PDG, le regretté Marcel Boiteux, gérait l’entreprise EDF avec la même rigueur que les plus vertueuses entreprises privées.
C’est ainsi que les finances publiques furent dispensées de payer la réalisation du parc électronucléaire actuel, ce dont se chargea un énorme emprunt contracté par l’entreprise EDF auprès de bailleurs de fonds internationaux et garanti par l’État, remboursé depuis, rubis sur ongle. Le contribuable n’a donc pas mis un sou dans cette remarquable dotation industrielle, ce qui souligne le caractère cynique de la persistance des autorités françaises et européennes à perpétuer le scélérat dispositif ARENH.
Jusque vers la fin du siècle dernier, EDF a géré la commercialisation de sa performante production électro-énergétique au moyen de son Service National des Mouvements d’Énergie (SNME) décliné en Groupe Régionaux des Mouvements d’Énergie (GRME), suivant le principe économique du merit order cher à Marcel Boiteux. Quoique d’aucuns puissent penser de cette ère commerciale, il n’y a pas photo entre le montant des factures actualisées de l’époque et celui des factures d’aujourd’hui. La condamnation du pseudo-marché actuel de l’électricité découlant de cette comparaison se révèle donc sans appel.
Aujourd’hui, un RTE et une CRE auxquels les pouvoirs publics ont conféré une souveraineté aussi absolue que supranationale sont chargés de mettre en musique chez nous la concurrence européenne réputée libre et non faussée des KWh, dont on découvrira ci-après la surréaliste représentation.
La considération superficielle d’une aussi ubuesque organisation commerciale suffit à mettre en lumière la supercherie du fait ou du forfait accompli qu’il y a à organiser un marché des KWh, plutôt qu’un marché des KW consistant à requérir la présence permanente de capacités de production idoines. Les Européens ne tarderont plus à mesurer ce que peut coûter cette supercherie au confort des usagers et à l’économie.
On invite le lecteur à comparer les prérogatives que le législateur attribue à RTE, en vertu du décret n° 2005-1069 du 30 août 2005 approuvant les statuts de la société RTE EDF Transport, à celles que ce dernier s’arroge, visibles sur son site.
En procédant de même pour la CRE, à partir du titre III, articles L131-1 à L135-16 de la partie législative du code de l’énergie, le lecteur appréciera si le consommateur trouve son compte dans la prescription suivante et dans son application, à l’aune de l’évolution de ses propres factures :
la CRE surveille la mise en œuvre des contrats à tarification dynamique prévus à l’article L. 332-7 et leur impact sur les factures des consommateurs. En particulier, elle surveille l’impact et l’évolution des contrats d’électricité à tarification dynamique, et évalue les risques que ces offres pourraient entraîner. Elle veille à ce que ce type d’offres n’entraînent pas de pratiques abusives. Elle peut formuler des avis et proposer toute mesure favorisant le bon fonctionnement et la transparence, notamment en matière de prix, du marché de détail. La Commission de régulation de l’énergie garantit le respect des articles 3, 4, 5, 8, 9 et 15 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie.
CRE et RTE sont manifestement au système énergétique du pays ce que les ARS – les agences régionales de santé – sont à son système de santé en voie de délabrement. Ainsi qu’en attestent les exemples exposés ci-après, tous deux dissipent ou laissent dissiper des ressources considérables dans l’entretien d’un simulacre de marché, dans une donquichottesque guerre contre le CO2 et dans le recueil des énergies fatales à la petite cuillère, partout sur le territoire national et même au-delà. Déjà en 2016, les considérations ci-après extraite du rapport RTE « signal prix du CO2 » (1) montraient combien optimiser les performances du système électrique, en même temps qu’alléger au mieux la facture des consommateurs du pays de l’UE le plus sobre en émissions de gaz carbonique n’était pas le souci premier du régulateur national :
Un prix élevé du CO2 favoriserait à long terme le développement des énergies renouvelables, de la flexibilité et du stockage […] Selon RTE et l’ADEME, un prix de 30 €/t de CO2 permettrait de diminuer d’environ 15 % les émissions du secteur électrique.
Personne n’a par ailleurs oublié le pavé de science-fiction « Futurs énergétique 2050 » que, voilà trois ans, RTE publia en guise d’étude prospective. Si cette dernière a de quoi susciter l’angoisse chez les moins de 20 ans les plus lucides, ce qu’on lit ci-après dans son droit fil est proprement alarmant (2) :
Dès aujourd’hui, l’ensemble des coûts consacrés à l’intégration des renouvelables dépasse largement les 2,5 milliards d’euros annuels. Rapporté aux 72 TWh éolien-solaire produits en 2023, ces coûts annuels correspondent à 34,5 euros par MWh produit ;
on rappelle que l’ARENH oblige EDF à céder à ses concurrents le quart de sa production nucléaire au prix de 42 euros/MWh.
Ceci ne tient même pas compte d’un coût pouvant atteindre les 900 millions d’euros annuels pour installer les compensateurs synchrones destinés à pallier la production anarchique de puissance – toujours elle ! – des renouvelables, générant une dangereuse instabilité du système électrique (3).
La désinvolture avec laquelle RTE et la CRE sévissent aujourd’hui impunément traduit à quel point un pouvoir politique en complète déshérence est désemparé, n’a d’autre choix que laisser la bride sur le cou aux responsables de grands corps dont il a perdu le contrôle, ou auxquels une incompétence aussi crasse que déjà ancienne ne sait plus apporter les réponses économiques et sociales essentielles. Un programme électronucléaire déjà largement virtuel pourrait en faire les frais, qui n’avait vraiment pas besoin de ça (4).