(Article initialement publié dans Causeur du 2 Février 2022)
Quel pays étrange que la France, qui disposait d’un outil exceptionnel dans la production d’énergie électrique grâce au nucléaire, et qui, depuis plus de 25 ans s’est obstiné à essayer de le faire disparaitre sans avoir le courage d’affronter le coût de la réalisation d’alternatives.
Aujourd’hui, timidement, on constate qu’il faut préparer une remise en fonctionnement des centrales à charbon pour passer l’hiver, avec des « effacements » (c’est-à-dire l’arrêt momentané de certaines industries) et le recours à la production de nos voisins… autrefois nos meilleurs clients, grâce aux interconnexions !
Une filière industrielle française puissante
Rappelons d’abord que, si l’électricité d’origine nucléaire a été encouragée par le Général de Gaulle, puis par Pompidou avec le plan Messmer de 1974, c’est pour des raisons d’indépendance nationale puisque notre production pétrolière et gazière nationale était déficitaire et que nos mines de charbon arrivaient à épuisement. Notre compétence en physique nucléaire a conduit à accélérer les investissements et à bâtir une filière industrielle solide, forte de 100 000 à 200 000 professionnels au service d’un grand acteur public, EDF, œuvrant à satisfaire les objectifs nationaux.
Cette énergie est ainsi devenue abondante et bon marché, aussi avons-nous pu l’exporter et rentabiliser plus vite nos investissements. Cerise sur le gâteau : l’environnement qui n’était pas la préoccupation majeure de notre Président Général est aussi gagnant grâce à la pollution moindre occasionnée par ces centrales. Surtout, la production d’électricité nucléaire n’occasionnant aucune émission de carbone, cette préférence nationale pour le nucléaire est un atout considérable, alors que la lutte contre le réchauffement climatique s’est traduit par la mise en place de nouvelles contraintes.
Cependant, les erreurs accumulées par l’écologie politique fragilisent le front anti-nucléaire: les quatre candidats à l’élection présidentielle qui ont la faveur des sondages sont d’accord pour offrir à l’industrie nucléaire sa chance de redresser le pays avec une énergie abondante et bon marché
Nos hésitations commencent en 1968, lorsque les jeunes s’interrogent sur les excès de la croissance et de la nouvelle société de consommation, rêvant d’aller élever des chèvres dans le Lubéron. Pour la génération contestataire, l’utilisation civile du nucléaire, liée à la bombe de même type, est le comble de la modernité – et du danger. On aurait pu, à l’époque, vanter le rôle de la médecine nucléaire, mais on a préféré ignorer cette idéologie de la peur en maitrisant les manifestations qui ont conduit par étapes à la constitution d’un noyau actif anti-nucléaire. Ce noyau qui a constitué la base de l’écologie politique française – et allemande – et donc de la poussée électorale des « Verts ».
Premiers mécontentements en Bretagne
Cependant, jusqu’en 1981, rien ne change dans le programme d’installations des centrales. Puis le projet d’implantation d’une de ces centrales à Plogoff, près de la Pointe du Raz dans le sud-Finistère, donne lieu à des manifestations violentes. Pendant sa campagne électorale, Mitterrand promet de reculer sur Plogoff, ce qu’il décide dès son arrivée au pouvoir ! On peut épiloguer sur cette promesse de campagne ainsi que sur la décision pas très opportune d’installer une centrale près d’un site mythique. Cependant, Mitterrand a poursuivi le programme d’installations de centrales nucléaires. Mais le vert était dans le fruit, et les alternatives au site de Plogoff n’ont jamais été retenues. La Bretagne reste dépendante jusqu’à aujourd’hui de la centrale à charbon de Cordemais (près de Saint-Nazaire) pour sécuriser son approvisionnement électrique !
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Pendant la période qui suit on maintient en fonctionnement 58 réacteurs sans pour autant amorcer leur remplacement éventuel tandis que les contestations se font de plus en plus fortes et qu’il devient nécessaire d’y répondre de façon plus pédagogique. Et, plutôt que de poursuivre le programme technique préparé par les spécialistes de la filière (après les réacteurs « N 4 », les réacteurs « N 4+ ») avec le remplacement des réacteurs les plus anciens par les plus récents, le monde politique invente une alternative pour se mettre à l’abri, pense-t-il, des difficultés des opinions publiques : une coopération franco-allemande et une évolution majeure de la sureté nucléaire. Ce sera le projet EPR (European Pressurized Reactor, réacteur pressurisé européen) dont les retards et les surcouts défraient la chronique depuis le lancement du chantier en 2007.
Depuis la gauche plurielle, nos gouvernements ont le nucléaire honteux
Le problème des déchets reste le véritable clou dans la chaussure du nucléaire et le projet Superphénix d’une centrale à neutrons rapides qui utilise comme combustible l’uranium usagé et donc appauvri (le déchet) sortant des centrales classiques est fondamental pour lever les derniers obstacles scientifiques et psychologiques à l’utilisation de l’énergie nucléaire, en attendant, à très long terme, la « fusion ».
L’écologie anti-nucléaire va donc appuyer sur deux sujets, Superphénix d’abord et la Centrale de Fessenheim en Alsace. Après les législatives anticipées de 1997 c’est le réacteur à neutrons rapides qui va payer le prix de l’intégration de l’écologie politique à la « gauche plurielle » de Jospin. Sans que le chef de l’Etat Jacques Chirac s’y oppose.
Depuis, nos gouvernements ont le nucléaire honteux. Quant à la Commission Européenne, sa volonté de « casser » le monopole d’EDF au nom de la concurrence a pour conséquence l’affaiblissement de ce pilier de la filière nucléaire – et hydraulique – contribuant ainsi à l’affaissement du nucléaire civil. Avec le soutien du mouvement écologiste elle va promouvoir les énergies « renouvelables », « vertes », « propres » et « gratuites », à savoir l’éolien et le solaire, en feignant d’ignorer leur coût réel et le caractère intermittent de leur production. Intermittence qui fragilise les réseaux européens existants car la capacité de stocker l’électricité est aujourd’hui extrêmement limitée.
Après les abandons successifs de Chirac, Sarkozy acceptera la création de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), un dispositif permettant aux fournisseurs d’électricité concurrents d’EDF en France (qui ne sont pas de producteurs mais des intermédiaires) de racheter à l’électricien jusqu’à 25% de sa production nucléaire à un tarif fixe. C’est se tirer une balle dans le pied pour satisfaire à l’idéologie de la libéralisation du marché, alors que la production de l’électricité est un monopole structurel.
Macron avalise la fermeture de Fessenheim
Dans le même temps le « Grenelle de l’Environnement » fait la promotion du solaire et de l’éolien « quoi qu’il en coute » et il ne reste plus qu’à attendre qu’une nouvelle gauche plurielle en 2012 demande la baisse de la part du nucléaire dans la production de l’électricité de 75 à 50% et la fermeture immédiate de Fessenheim. Ce qui sera décidé sous Hollande et effectué sous Macron. Il faut dire que l’introduction dans la Constitution d’un principe de précaution bien vague permet toutes les interprétations, en particulier de la part des anti-nucléaires, surtout après le tsunami de Fukushima. Le programme neutrons rapides, renommé « Astrid », qui avait redémarré en 2006 avec Chirac, est arrêté par Macron en 2019. Il sera poursuivi dans d’autres pays avec l’aide de nos données.
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Le résultat de cette histoire est triste : ce sont le charbon, puis le gaz qui profitent de ce recul en Europe et en France car les énergies renouvelables sont incapables en l’état de soutenir notre consommation. Entre-temps, les prix de l’énergie flambent car on a réduit l’investissement dans l’exploration des carburants fossiles et leur production. Tout cela, alors que l’Europe a plus que jamais besoin d’une énergie électrique abondante, fiable et bon marché pour assurer sa compétitivité industrielle et assurer la montée en puissance du véhicule électrique au détriment de l’automobile à moteur thermique.
Illusions perdues
Bercés par les illusions de l’écologie politique, nos gouvernements se sont trompés dans leurs calculs à la fois de rentabilité et de consommation au point où la grande peur, aujourd’hui, n’est plus celle du nucléaire mais celle de la pénurie et du délestage : on annonce que certains territoires doivent se préparer à vivre des coupures d’électricité systématiques. Une situation inconcevable pour un pays hier exportateur d’électricité et dont la maîtrise technique, conjuguée à un appareil industriel de pointe, a permis à la Chine de s’équiper de centrales nucléaires de modèle français ! Notre mix électrique composé d’une base nucléaire, d’un pilotage hydraulique et gazier et d’investissements limités et raisonnables dans les énergies solaire et éolienne était surement le meilleur du monde, non seulement en termes de coût et de disponibilité mais aussi en matière d’émissions de CO2.
Cependant, les erreurs accumulées par l’écologie politique aux commandes des villes (notamment Lyon, Bordeaux et Grenoble) fragilisent le front anti-nucléaire. Désormais, les quatre candidats à l’élection présidentielle qui ont la faveur des sondages sont d’accord pour offrir à l’industrie nucléaire sa chance de redresser le pays avec une énergie abondante et bon marché. Mais que de temps perdu, que d’existences gâchées, que d’occasions de redresser notre balance commerciale abandonnées ! L’espoir est que l’essentiel de nos physiciens, ingénieurs, techniciens et industriels de talent sont restés chez nous, prêts à rebondir dans des délais que l’urgence exige. Mais il ne faudra plus les décevoir, et les atermoiements de nos représentants à la Commission Européenne ne sont pas de bon augure. Nous devons investir dans l’électricité nucléaire, et vite.