(Article de Philippe Charlez initialement publié dans Contrepoints du 10/02/2022)
Les centrales à charbon sont utilisées en France pour compenser une production énergétique en baisse. La faute à de mauvais choix.
Janvier et février sont connus pour être des mois de « tension électrique ». Obscurité et froid obligent, entre 17 heures et 21 heures on observe un pic de consommation dépassant fréquemment 80 GW. Se situant en moyenne autour de 90 GW, il avait atteint 103 GW le 8 février 2012 à la suite d’une vague de froid particulièrement sévère.
Pour faire face à ces pics hivernaux récurrents, on ne peut compter sur le solaire et fort peu sur l’éolien, les anticyclones polaires se caractérisant par l’absence de vent. Ainsi au cours du mois de janvier, de nombreuses journées se sont terminées par un solde quasi nul de solaire et d’éolien. Le mix électrique français intègre heureusement une quantité suffisante d’unités pilotables principalement décarbonées (nucléaire et hydroélectrique) mais aussi des centrales thermiques d’appoint.
La production nucléaire française insuffisante en 2022
Malheureusement, depuis mi-décembre une partie du parc nucléaire français n’est pas au rendez-vous. Cinq réacteurs (soit environ 10 GW) sont actuellement à l’arrêt pour des raisons diverses de retard de maintenance, de rechargement en combustible et de réparation par suite de fuites dans les circuits de sécurité. Selon EDF, cette indisponibilité pourrait priver la France de près de 60 TWh de nucléaire sur l’année. Depuis mi-décembre la France compense ce déficit en faisant tourner ses centrales à gaz à plein régime et en important en début de soirée jusqu’à 10 GW depuis ses voisins européens.
En prévision d’une situation qui pourrait devenir critique et imposer des coupures en cas de pic excédant 90 GW, le gouvernement a autorisé fin janvier la remise en service des deux dernières centrales à charbon dont la fermeture définitive a été différée à 2024.
Journée typique en cas d’anticyclone hivernal (26 janvier 2022 19 heures)
Import + fioul + charbon + gaz = 17 GW
Source : RTE
À titre d’exemple, le 26 janvier à 19 heures, la somme imports + fuel + charbon + gaz représentait 17 GW soit 20 % de la puissance globale demandée. Notons au passage que les 6 GW importés contiennent une partie significative d’électricité allemande toujours majoritairement fabriquée à base de lignite. Quant au solaire et l’éolien, ils étaient aux abonnés absents et représentaient moins de 2 %. On imagine la situation avec un mix énergétique 100 % renouvelables promu sans vergogne par les écologistes !
Bien que symbolique, les deux centrales à charbon ne représentant que 3 GW, la décision de les rouvrir pose de nombreuses questions au sujet du futur du mix électrique français d’autant que, transition énergétique oblige, la demande d’électricité de l’Hexagone devrait presque doubler au cours des trente prochaines années.
De mauvais choix politiques comme causes de la réutilisation des centrales au charbon
La première concerne la fragilité d’un parc nucléaire vieillissant dont il faut impérativement prolonger la durée de vie en effectuant sans tarder le grand carénage. Bien que son prix soit estimé par EDF à 60 milliards d’euros, il ne renchérira le MWh que de dix petits euros. Il est aussi indispensable de lancer dès 2022 la construction d’au moins dix nouvelles EPRs ainsi que de réfléchir à la mise en œuvre de mini centrales SMR pour appuyer localement les renouvelables intermittents.
La seconde question concerne la pertinence des renouvelables incapables de nous fournir de l’électricité quand nous en avons vraiment besoin. Depuis le début du siècle 150 milliards d’euros ont été engloutis dans des équipements solaires et éoliens dont les contributions en janvier et février sont quasi nulles. Si ces fonds avaient été investis dans le nucléaire nous disposerions aujourd’hui de 50 réacteurs supplémentaires. Les pouvoirs publics doivent sans aucun doute faire une pause sur le déploiement des ENR et concentrer leurs efforts sur le nucléaire.
Les renouvelables ne pouvant se passer de sources pilotables, si l’option nucléaire n’était pas décidée rapidement, la France devrait alors, comme sa voisine allemande se reposer sur le gaz dont les prix ont atteint des sommets depuis l’automne dernier. Une France 2050 sans nucléaire et reposant à 50 % sur les renouvelables (vent + soleil + hydroélectricité) devrait alors importer pour satisfaire sa consommation électrique de l’ordre de 650 TWh de gaz1. En choisissant cette option, le pays augmenterait ses émissions de 38 % (+132 MtCO2) pour une facture gazière annuelle de 90 milliards d’euros plombant à tout jamais sa balance des paiements. Une telle stratégie augmenterait aussi de façon très significative la dépendance énergétique de la France.
Même si l’Hexagone ne produit pas d’uranium, le coût du combustible ne compte que pour 2 % dans le prix du MWh nucléaire, alors qu’il compte pour plus de 90 % dans la génération gazière. Les prix du gaz et du carbone devant rester structurellement élevés, miser sur le gaz conduirait la France à la faillite énergétique.
Enfin remercions la solidarité européenne de nous permettre de passer sans encombre cette situation temporairement à risque. On a beaucoup critiqué ces derniers temps le fonctionnement du système électrique européen réenchérissant le prix du MWh basé sur la dernière source mise en œuvre. Sans lui, 10 GW manqueraient à l’appel chaque jour entre 17 et 21 heures. Le prix d’une franchise nulle, ici zéro blackout, est toujours très élevé !