La Pologne ne doit pas sacrifier sa prospérité pour faire plaisir aux écologistes allemands et autres, encore moins pour dépendre de l’énergie russe.
La guerre en Ukraine révèle avec douleur plusieurs échecs de l’Union européenne (UE). Mais elle met aussi en évidence la grandeur de la nation polonaise. Les Européens sont en admiration pour le sens de responsabilité des autorités et de la population de Pologne, notamment dans l’accueil généreux des Ukrainiens qui fuient la mort et la destruction de l’injuste guerre conduite par la Russie. Mais comme toujours, il est possible dans les malheurs de tirer des solutions pour éviter que l’avenir ne fournisse les mêmes difficultés.
Objectivement, l’énergie est au centre de cette désastreuse situation. Si la Russie n’était pas ce que les géologues nomment un scandale géologique, un géant mondial en ressources énergétiques (20 % du gaz, 6 % du pétrole et 15 % du charbon), on n’en serait pas là. Ce sont ces richesses de l’incontournable énergie dont le monde a un cruel besoin, qui donne à Vladimir Poutine un bâton de maréchal. De plus, l’UE est fortement dépendante de cette énergie russe. D’une part pour des raisons historiques, car les pays ayant subi la dictature soviétique étaient des clients obligés de l’URSS. D’autre part, parce que dans un marché libre, il apparait logique d’acheter là où le prix est faible et vu sa proximité et ses faibles coûts de production, c’était le cas avec la Russie.
La demande croissante des besoins énergétiques a conduit à ce que l’UE soit encore fortement dépendante de la Russie. Le gaz russe représente 45 % des importations des États membres de l’UE. Ses importations sont de l’ordre de 150 à 170 milliards de m³ par an, en fonction de la rigueur des hivers. Le pétrole et les produits pétroliers russes représentent 33 % de nos importations, le charbon 26 % et l’uranium 20 %. L’importation de gazole russe ne doit pas être sous-estimée, car les difficultés administratives et les contraintes environnementales excessives de l’UE ont mis à mal l’industrie du raffinage du pétrole en Europe, de sorte que les raffineries russes qui ne sont pas soumises aux pressions des écologistes de Bruxelles/Strasbourg fonctionnent en partie pour alimenter nos véhicules.
Depuis des années, je mets en garde contre les errements de la politique énergétique de l’UE. Puisque j’ai travaillé 36 ans comme haut fonctionnaire à la Direction générale énergie de la Commission européenne et que j’enseigne depuis 19 ans la géopolitique de l’énergie dans diverses universités, je pensais et pense encore avoir l’expérience qui m’autorise à alerter sur ces questions. Mais l’aveuglement vert (à moins que ce ne soit un autre) est total à Bruxelles/Strasbourg, de sorte qu’il a été impossible d’apporter de la rationalité dans ce débat.
L’Allemagne coupable
J’ai plusieurs fois mis en garde contre les conséquences pour l’UE de suivre la doctrine allemande en matière de politique énergétique. Après les élections du 26 septembre 2021, le gouvernement de Berlin, avec le parti écologique, s’est obstinément engagé dans l’EnergieWende. Wende signifie « retournement de situation », que l’UE a traduit par « transition ». Leur politique consiste à promouvoir « quoiqu’il en coûte » l’énergie éolienne et solaire (dans l’un des pays les moins ensoleillés de l’UE), à mettre fin à la production locale de lignite (le combustible fossile le moins cher du monde) et à fermer ses centrales nucléaires en parfait état de marche, qui pourraient encore fonctionner pendant une vingtaine d’années.
Dans la série des arroseurs arrosés, le pays qui voulait abandonner les énergies fossiles et le nucléaire s’est retrouvé à la merci du gaz russe au-delà de toute raison. Le problème n’est pas le gaz. Ce qui cause problème est la dépendance excessive du gaz d’un seul pays. Les écologistes allemands se sont opposés avec succès aux différents projets de terminaux gaziers sur la mer Baltique pour importer du gaz naturel liquide. Pour eux, un tel terminal aurait signifié la perpétuation de l’importation d’énergie fossile : deux gazoducs provenant de Russie oui, des terminaux gaziers ouverts sur le monde non, surprenant raisonnement. Presque tous les États membres maritimes de l’UE possèdent un ou plusieurs terminaux GNL. La France compte 3 ports d’importation de GNL, l’Italie également 3 et l’Espagne 7, la Pologne et la Lituanie proche en ont un chacun. Comment pouvons-nous accepter des leçons de vertu énergétique de la part d’un aussi piètre stratège ?
En fait, l’Allemagne a tout faux en matière d’énergie et en paiera lourdement les conséquences. À force de suivre les ONG écologistes, l’Allemagne était presque parvenue à imposer l’abandon du nucléaire au reste de l’UE. La doctrine verte que l’Allemagne impose à la Pologne et aux autres États membres est d’une part l’illusion de la réduction des émissions mondiales de CO2 (on y reviendra à la fin) et l’abandon de l’énergie nucléaire. Cette détestation de l’électricité nucléaire les porte à ne voir la politique énergétique qu’au travers du prisme de l’électricité. C’est une grave erreur, car la demande d’électricité ne représente en moyenne dans l’UE que 23 % de la demande d’énergie finale. La principale énergie finale en volume est la chaleur, de sorte que 70 % du gaz naturel utilisé dans l’UE sert à la production de chaleur. Comment les Allemands vont-ils chauffer leurs habitations et comment leurs usines — grandes et petites — vont-elles produire la chaleur dont tous les processus industriels ont besoin ?
En négligeant le besoin fondamental de la chaleur, cette aversion pour l’énergie nucléaire a conduit à une dépendance déraisonnable vis-à-vis de l’énergie russe.
En 2019, l’Allemagne a importé 84 milliards de m³, dont 51 milliards de m³ en provenance de Russie. Le gazoduc Nord Stream 1, qui contourne l’Ukraine, le Belarus et la Pologne en traversant la mer Baltique et qui est en service depuis 2011, peut transporter 55 milliards de m³ et le nouveau Nord Stream 2 autant. Ils ont même été jusqu’à préparer l’importation d’hydrogène de Russie grâce à un projet de pyrolyse du gaz naturel qui aurait dû laisser le carbone en Russie et envoyer l’énergie prétendument verte en Allemagne. Ils allaient encore plus être dépendants de la Moscou et ils ont imposé à toute l’UE de suivre leur politique utopique en matière d’hydrogène. J’ai dénoncé cette utopie dans mon livre L’utopie hydrogène .
Mais la situation la plus étrange pour une économie aussi importante est qu’elle n’a pas construit un seul terminal gazier pour recevoir les méthaniers transportant du gaz naturel liquéfié (GNL) permettant de s’approvisionner sur le marché mondial, alors que la doctrine évidente pour disposer d’une énergie abondante et bon marché est de diversifier les sources.
De plus, elle tente d’interdire l’utilisation du charbon et les mineurs de Silésie en connaissent amèrement les conséquences. Il semble qu’avec le soutien financier de Gazprom, les écologistes ont aussi tout fait pour dénigrer le gaz de schiste qui est pourtant présent dans de nombreux pays européens, notamment en Pologne.
Qu’ils veuillent être extrémistes, cela les regarde. Le problème est que, compte tenu de sa puissance économique et donc politique, l’Allemagne a imposé sa doctrine à l’ensemble de l’UE qui l’a transposée en un Pacte vert. C’est Angela Merkel qui a orchestré cette politique, c’est Ursula von der Leyen qui la met en œuvre avec la complicité de Frans Timmermans. La Commission a obligé la Pologne et les autres États membres à suivre les injonctions allemandes.
Il y aurait encore tant à dire sur les folies vertes des Allemands, mais ce que j’ai qualifié de trahison énergétique est aujourd’hui suffisamment visible pour que j’en vienne à mon point central.
La Pologne peut inverser cette situation inadmissible
Grâce aux fonds européens gérés par la Commission européenne, avec divers instruments, y compris le mal nommé « Fonds Juste » pour aider les régions qui vont devoir obéir à la politique verte, Bruxelles/Strasbourg est parvenu en dépensant des milliards d’euros à imposer sa vision écologiste. Le gouvernement polonais a tenté de faire de la résistance, mais à la fois isolé et avec des menaces financières et autre il a dû renoncer à s’opposer aux injonctions vertes de Bruxelles/Strasbourg. La Silésie va bénéficier de ce fonds mais à condition de fermer ses mines alors que la Pologne a besoin d’énergie pour le bien-être de sa population et maintenir l’emploi dans une région qui ne se reconvertira que dans des décennies comme le montre l’échec de la reconversion des régions charbonnières de Wallonie ou des Asturies.
Le charbon de la Pologne est un atout. Personne ne peut lui empêcher de le produire et de le brûler. L’article 194.2 du Traité de Lisbonne donne les pleins pouvoirs aux États membres dans l’exploitation de leurs ressources et l’utilsation de l’énergie qu’ils préfèrent. Mais au travers de la politique climatique, Bruxelles et Strasbourg contournent cette liberté en punissant ceux qui n’obtempèrent pas. Dans le Livre vert sur la sécurité d’approvisionnement énergétique d’octobre 2000, la Commission européenne de l’époque considérait qu’il fallait laisser « un socle » de production de charbon pour garantir la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’UE. La Pologne est ce socle. Puisque les extrémistes d’Allemagne ne veulent pas utiliser leurs immenses réserves de lignite bon marché, dans le respect de la stratégie de sécurité d’approvisionnement énergétique de l’UE, il est nécessaire de garder une production de charbon. On a vu où nous mène une stratégie qui limite les options au lieu de les multiplier.
Il est indispensable de revenir à la production de gaz de schiste que la Pologne comme d’autres pays de l’UE pourraient exploiter. L’Ukraine aussi en possède. La Pologne possède là un double rôle à jouer. Mais pour cela, il faut dire, expliquer, enseigner que les écologistes nous ont trompés en vilipendant le gaz de schiste. Dans mes livres je démontre que les peurs des pollutions dues à la fracturation hydraulique ne sont que des prétextes pour arrêter cette production indigène de gaz dans l’UE. À présent, on préfère importer ce gaz depuis le Texas plutôt que de le produire nous-mêmes. Sommes-nous machiavéliques en laissant la pollution au Texas et en utilisant leur gaz ? Ou bien les Texans sont-ils plus intelligents que nous en nous vendant un gaz qu’ils produisent sans polluer que nous pourrions produire nous-mêmes ?
On a dit que le dogme fondamental de l’Allemagne est l’abandon à tout jamais de l’énergie nucléaire. Elle était parvenue à imposer à la Commission européenne de l’interdire dans son projet de taxonomie publié en avril 2021. Heureusement que 11 États membres, dont la Pologne et la France, se sont opposés à cette interdiction contraire au Traité de Lisbonne. Fin décembre 2021, la Commission a accepté du bout des lèvres que l’électricité nucléaire fasse partie des possibilités d’énergie de l’avenir. Rien que ce débat de la taxonomie est une démonstration de la manipulation du Traité de Lisbonne : ce n’est pas de la compétence de Bruxelles/Strasbourg. Je suis surpris qu’un des grands États membres de l’UE comme la Pologne ait toléré si longtemps cette dérive. Dérive qui n’est pas terminée puisque la Commissaire Margrethe Vestager a annoncé en janvier dernier que seules les énergies renouvelables pourront recevoir des aides d’État qui peuvent être généreuses. Rappelons que pour des raisons de méfiance vis-à-vis du peuple polonais, les Soviétiques avaient permis à tous ses satellites de disposer d’énergie nucléaire, sauf la Pologne. Ce retard dans une énergie d’avenir doit être comblé et rapidement. Le gouvernement polonais a bien raison de miser sur cette énergie qui en est seulement à son début tellement le potentiel d’innovation technologique est important.
Ne perdons pas de vue que comme on l’a dit, l’électricité n’est pas la forme la plus importante en volume de la consommation d’énergie. En tant que pays continental la Pologne a un besoin criant de chauffage. C’est pourquoi, historiquement, elle a bien fait de coupler la production d’électricité avec celle de chaleur. Elle doit garder cette manière efficace d’utiliser l’énergie. C’est pourquoi la cogénération électricité-chaleur doit se poursuivre et bien entendu en exploitant les innovations en matière d’efficacité énergétique dans les réseaux de chaleur. Pour cela, il faut poursuivre l’utilisation propre du charbon dans ces centrales de cogénération.
Bien entendu, le gaz restera une énergie importante dans le monde entier et donc aussi en Pologne. Mais il ne doit pas provenir de Russie, du moins pas majoritairement, et pas tant que le régime autocratique persistera. La Pologne a donc bien fait de s’équiper du terminal gazier sur la côte de la Baltique à Swinoujscie, le plus gros terminal gazier d’Europe centrale. Elle a bien fait de signer des contrats de long terme avec QatarGas et aussi avec Cheniere pour importer du gaz depuis la Louisiane. Lors de la signature de ces contrats longs termes, certains ont critiqué les autorités polonaises. Que disent-ils aujourd’hui ?
Un autre secteur d’intérêt que l’axe Berlin/Bruxelles/Strasbourg est en train de détruire est celui de l’automobile.
L’aveuglement des écologistes contre les véhicules thermiques – en fait leur aversion est contre l’automobile, quelle que soit l’énergie de propulsion ― promeut à une vitesse insupportable et irréaliste les véhicules électriques. La Pologne possède énormément d’entreprises produisant les composants automobiles. Peut-elle accepter que l’on se précipite dans les mains des industries automobiles chinoises, car c’est cela qui attend le développement des véhicules électriques ? Non seulement la Chine possède les matières minérales pour dominer le marché mondial de l’automobile électrique (c’est d’ailleurs aussi vrai pour les énergies renouvelables), mais en plus sa main-d’œuvre qui ne jouit pas de la protection sociale que nous avons dans l’UE lui donne un avantage concurrentiel qu’on ne peut combler. Pousser les véhicules au point d’interdire les véhicules thermiques en 2035 est une faute énergétique, géopolitique et sociale. La Pologne devrait être plus déterminée dans son opposition au plan destructeur de la Commission européenne.
La Pologne a besoin de beaucoup d’énergie abondante et bon marché et elle doit donc défendre son charbon et l’électricité nucléaire. Elle montre qu’elle s’est comportée sagement en faisant tout le contraire de l’Allemagne. C’est pourquoi, aujourd’hui, elle devrait prendre la tête de l’opposition à la politique verte de Berlin/Bruxelles/Strasbourg. La Pologne peut conduire le retour au concept fondamental d’indépendance énergétique qui doit être à la base de la politique de tous les États et donc de l’Union européenne, ce qui n’est pas incompatible avec la nécessité de limiter les gaspillages en augmentant l’efficacité énergétique partout où l’on peut le rendre possible. Un marché mondialisé aux provenances multiples comme celui du pétrole et du gaz naturel liquéfié, comme celui de l’uranium est un gage d’indépendance pour les pays consommateurs, les monopoles ou quasi-monopoles qui ont été recherchés ou acceptés sont inacceptables. Les orientations des instances allemandes et européennes vers des solutions uniques, les éoliennes, le gaz russe, le véhicule électrique, les panneaux solaires chinois… nous annoncent des catastrophes en cascade.
S’il faut utiliser des fonds de relance post-covid, plus un euro ne devrait être dépensé pour les inutiles éoliennes et panneaux solaires. Depuis le premier choc pétrolier de 1973, l’UE promeut la transition énergétique grâce à des subsides sans compter pour imposer les énergies renouvelables. Dans l’UE, grâce à des subventions payées par les taxes et les factures d’électricité, l’énergie éolienne et solaire photovoltaïque représentent ensemble 2,9 % de la demande en énergie primaire. Après presque 50 ans n’est-il pas temps de dire clairement que Vladimir Poutine profite de notre aveuglement dogmatique en faveur des énergies renouvelables ? Il est urgent d’accepter la réalité : la multiplication des investissements dans les énergies intermittentes est le problème et non pas la solution. Il faut donc arrêter tous les programmes qui vont nous rendre encore plus dépendants du gaz russe, car toute nouvelle capacité éolienne ou de panneau solaire photovoltaïque doit être accompagnée d’une capacité équivalente de centrale électrique au gaz puisque le vent ne produit que 21 % du temps et le solaire 11 % en moyenne dans l’UE.
Mais peut-être que certains diront qu’il faut réduire les émissions mondiales de CO2 ? N’est-ce pas l’objectif de l’UE qui veut réduire de 55 % en 2030 ses émissions par rapport à 1990 et même d’arriver à 100 % en 2050 ? Oui. Sauf que le reste du monde se moque de cette prétendue catastrophe climatique puisque, depuis la Convention de Rio en juin 1992 qui a inventé ce métarécit, les émissions mondiales de CO2 ont augmenté de 58 %. Chine, Inde, Australie et pratiquement tous les autres hors de l’UE se moquent des prévisions catastrophiques du GIEC qui n’ont d’écho médiatique que grâce aux lobbyistes de Bruxelles/Strasbourg.
La Pologne ne doit pas sacrifier sa prospérité pour faire plaisir aux écologistes allemands et autres, ni aux catastrophistes du changement climatique et encore moins pour dépendre de l’énergie russe. Elle a besoin d’énergie abondante et bon marché, ce qui était la base de création de l’UE comme je l’ai souvent écrit. La Pologne sait très bien ce qu’elle doit faire. Mon souhait est qu’elle prenne la tête d’un changement de politique à Bruxelles/Strasbourg pour abandonner les rêves vers qui nous ont conduits à un contrôle de Vladimir Poutine sur notre souveraineté énergétique.
Peut-être, et à juste titre, des lecteurs se demanderont comment moi qui ai travaillé 36 ans comme fonctionnaire européenne, je me permets ou j’ose écrire cela. C’est pour deux raisons : premièrement, la Commission européenne que j’ai servie avec joie, passion et honneur n’avait pas d’idéologie comme celle-ci, nous étions là — dans le domaine de l’énergie ― pour faire en sorte que les citoyens et l’industrie disposent d’énergie abondante et bon marché. Deuxièmement, j’aime trop l’Europe et la prospérité de ses peuples, pour laisser détruire ce que les générations ont construit avec succès depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Puisse cette injustice de la guerre en Ukraine servir de renouveau pour tous les peuples européens comme le fut la fin du nazisme.