François-Xavier Pietri : “La voiture électrique est un piège”

Dans un ouvrage percutant, François-Xavier Pietri, ancien chef du service économique de TF1, dénonce l’obsession du gouvernement pour le tout-électrique, un danger écologique, économique et social selon lui. 
(Par  Mickaël Fonton,

Valeurs actuelles. Votre ouvrage s’ouvre sur le récit d’un moment d’angoisse à l’aéroport de Bastia. Racontez-nous…

François-Xavier Pietri. La scène s’est produite à l’été 2020 ; j’arrive à Bastia, il fait une chaleur terrible et, sur le parking de l’aéroport, une file s’allonge devant la boutique de location de voitures Hertz, où les employés parlementent avec les clients. Je comprends bientôt pourquoi : les voyageurs qui ont loué une voiture de classe A – par exemple, une Fiat 500 – se retrouvent avec une Zoe, qui est bien une voiture de classe A mais électrique. Or, en Corse, l’été, la batterie d’une voiture électrique se décharge à toute vitesse : adieu les petites routes de montagne et même la climatisation. J’ai retrouvé, quelques jours plus tard, un couple qui avait hérité d’une Zoe, ils m’ont dit : « Ça a été un enfer. » Ils ont passé leurs vacances les yeux rivés sur la jauge de leur batterie. Je me suis alors rendu compte que ce qui était imposé à quelques milliers de touristes allait bientôt constituer la réalité pour 450 millions d’Européens et je me suis dit : “Il y a un gros problème. ” La voiture électrique est un piège. Il faut tout calculer, tout mesurer, c’est la fin de la liberté.

Cela explique-t-il qu’en dépit du matraquage médiatique et commercial, très peu de Français envisagent de passer à l’électrique ?

Il y a trois facteurs qui expliquent cette réticence. Le premier, c’est l’autonomie, qui est en moyenne de 300 kilomètres, soit la moitié de celle d’un véhicule thermique. Le second, c’est la pénurie de bornes de recharge. Dès qu’on part de chez soi, c’est l’angoisse. L’an dernier, la France devait disposer de 100 000 bornes, on est à peine à 70 000 aujourd’hui, dont seulement 5 000 bornes “rapides” (une demi-heure quand même). Enfin, troisième aspect, le prix : une Zoe coûte au minimum 32 000 euros ! Près du double du prix d’une Clio.

Dans un entretien donné aux Échos, Emmanuel Macron a tenu un discours très volontariste au sujet des véhicules électriques…

Il y a plusieurs choses à dire à ce sujet ; déjà, il annonce l’augmentation du bonus à l’achat d’un véhicule, pour les prix inférieurs à 47 000 euros ! C’est une façon de mettre hors-jeu les Tesla d’Elon Musk – mais c’est également une façon indirecte de rappeler qu’il s’agit de voitures particulièrement chères à l’achat ! Ensuite, cette aide va permettre aux acheteurs d’acquérir des véhicules essentiellement étrangers…

Il n’y a pas de voitures électriques françaises ?

En l’état actuel des choses, le cœur de la voiture, la batterie, est asiatique. L’entourage pourra être français, ce n’est pas ça qui compte vraiment. On parle beaucoup de réindustrialisation, mais c’est un leurre. Le passage à l’électrique ne constitue pas une avancée technologique, c’est un recul. Le moteur électrique est plus élémentaire que le moteur thermique ; il y a beaucoup moins de pièces, donc moins de maintenance, moins de besoins en personnel – toutes les filières en amont ou en aval de l’automobile sont menacées de disparition.

Vous prédisez pourtant que les grands constructeurs vont parvenir à tirer leur épingle du jeu ?

Ils sont surtout schizophrènes ! Ils savent que c’est une erreur industrielle majeure, mais comme ils savent aussi qu’ils n’ont pas le choix, ils y vont à fond. Leur calcul, c’est de vendre des voitures beaucoup plus chères qu’aujourd’hui. La Zoe sera vraiment vendue 32 000 euros. Tout l’argent ne sortira pas de la poche de l’acheteur, mais tout l’argent rentrera bel et bien dans la poche du constructeur, qui fera donc des marges importantes – d’où les récents bénéfices des géants de l’automobile.

Dans ce modèle, c’est le Français moyen qui reste sur le carreau…

Exactement ! La voiture va redevenir un bien de luxe. Et les riches seront les nouveaux vertueux, seuls capables de rouler dans des véhicules “propres” ou prétendus tels…

Les véhicules électriques ne sont pas si écologiques que ça ?

Il y a un déficit écologique à la fabrication : la voiture est construite autour de la batterie, qui est un objet fort peu écologique. Il y a du cobalt, du lithium, des terres rares, dont l’extraction se fait dans des conditions souvent désastreuses. Pour produire une seule batterie, il faut un volume d’eau égal à la consommation annuelle de 500 personnes ! Ensuite, il y a un déficit écologique à l’usage : d’où vient l’électricité de votre voiture ? D’une centrale nucléaire, comme c’est le cas en France (de moins en moins, malheureusement), d’une centrale à charbon, comme en Pologne, ou d’une centrale au gaz russe, comme en Allemagne ? On a calculé qu’il fallait qu’une voiture électrique de catégorie moyenne roule 70 000 kilomètres (soit environ cinq ans) pour que son bilan carbone soit meilleur que celui d’une voiture thermique. Enfin, il y a l’énorme problème du recyclage. En 2035, il y aura 7 millions de batteries à recycler, or, c’est une opération très complexe ; il faut démonter, isoler, traiter, c’est énergivore et ça produit des déchets difficiles à manipuler​

Pour revenir au volontarisme d’Emmanuel Macron – notamment sur les batteries – croyez-vous que la France puisse enclencher des cercles vertueux, comme le président le laisse entendre ?

Je suis très dubitatif. La batterie asiatique a quinze ans d’avance. Je ne vois pas comment nos industriels pourront rattraper un tel retard, quand on connaît les difficultés qui sont déjà les leurs. Je note d’ailleurs que le grand site ElectriCity, que Renault entend développer dans le Nord, le sera en partenariat avec Envision, une entreprise chinoise… Cet “Airbus de la batterie”, puisque nos dirigeants usent beaucoup de cette image, j’attends de le voir décoller…

Vous écrivez : « Pour la Chine, il s’agit d’un choix stratégique visant à imposer son modèle industriel de la batterie […] pour l’Europe, c’est la glissade dans une course suicidaire de perte de souveraineté industrielle. » Comment l’expliquer ?

Tout ceci procède d’une vision à court terme. Nous nous sommes engagés sur l’objectif du “zéro émission” de CO2 en 2050 avant même de savoir comment faire. Or, quand on se penche sur la faisabilité, on se rend compte que pour l’industrie c’est très compliqué, pour l’aviation, c’est impossible, idem pour l’agriculture, etc. Il reste le transport et, en particulier, la voiture. Là, c’est “simple” : il faut enlever le moteur thermique et le remplacer par un moteur électrique et une batterie – qui existent déjà. C’était plus facile et ça permettait de communiquer sur l’écologie, de faire passer des messages…

Vous écrivez aussi : « La religion du zéro carbone frôle l’Inquisition. » À quoi faites-vous référence ?

Ce qui me frappe, c’est la façon dont on ignore les progrès gigantesques accomplis par l’industrie automobile, sur la motorisation notamment, en matière d’écologie. Les émissions de CO2, d’oxyde d’azote, de particules fines se sont effondrées en vingt ans et c’est comme si tout ça n’existait pas. Aujourd’hui, le simple remplacement du parc existant par des véhicules récents suffi rait presque à atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi ne pas le faire ? Pourquoi ne pas le dire ? On a fait un choix binaire, idéologique.

Les zones à faibles émissions (ZFE), c’est de l’idéologie aussi ?

Trois Français sur quatre ne connaissent pas ce sigle. Ils ignorent que toutes les agglomérations – pas uniquement le centre-ville – de plus de 150 000 habitants (ça en fait beaucoup) seront interdites à tous ceux qui n’auront pas les moyens de se payer un véhicule “propre”. Je ne sais pas si le gouvernement a bien conscience de la bombe que constitue cette mesure – qui entrera en vigueur en 2025, c’est-à-dire demain. On voudrait relancer le mouvement des “gilets jaunes” qu’on ne s’y prendrait pas autrement. La voiture est indispensable à 75 % de nos compatriotes ! Le Français effectue en moyenne 39 kilomètres par jour pour aller travailler ! Il va les faire à pied ? en bus ? en vélo ? C’est surréaliste.

“Voitures électriques : ils sont devenus fous !”, par François-Xavier Pietri, Éditions de l’Observatoire, 224 pages, 19 €.

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