Par Zagros, ex-membre des Autorités de sûreté nucléaires civile et défense.
Dans le contexte de relance de notre industrie nucléaire, quelques commentaires méritent d’être rappelés.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire et viser un retour de notre meilleur savoir-faire dans l’industrie nucléaire.
Si on prolonge la durée de vie de nos centrales existantes (c’est possible en remplaçant les composants y compris certains gros composants comme les générateurs de vapeur ou les couvercles de cuves) on a le temps de former de nouveaux soudeurs-tuyauteurs et de construire des EPR.
Qui plus est, il faut sans tarder relancer ASTRID ou équivalent pour préparer la relève avec les réacteurs de quatrième génération, ou surgénérateurs, ou RNR (Réacteurs à Neutrons Rapides). N’oublions jamais qu’avec nos réserves en uranium appauvri nous avons un millénaire ou plus d’électricité devant nous grâce aux surgénérateurs, avec à la clé de quoi largement alimenter un parc de voitures électriques, pour ceux que cela passionne.
Dans ce contexte il faut insister sur la variante surgénérateurs-incinérateurs qui permet de diminuer encore les déchets à vie longue en cassant les actinides mineurs, ce qui permet, avantage important, de ménager la capacité du stockage en couche géologique profonde.
Le développement des RNR s’accompagne bien sûr du développement de l’aval du cycle, comme les usines de retraitement, mais aussi de l’amont du cycle, dans la filière surgénérateurs-incinérateurs, les usines de fabrication du combustible (peu dosantes avant l’usine MELOX où l’on manipule du plutonium) dans lesquelles on intègre les résidus du retraitement à vie longue. Le détriment de cette option est le coût augmenté des doses radiologiques délivrées aux opérateurs de l’aval du cycle (manipulation des américium, neptunium et autre curium dans le retraitement et le recyclage). Les usines de retraitement françaises ont déjà fait, par exemple avec le MOX, de gros progrès dans le domaine de la protection radiologique et sont en mesure de les poursuivre (travaux à distance, automatismes…).
Il n’y a pas de problème de stockage de déchets ultimes, au demeurant fort réduits avec les réacteurs de quatrième génération. Le stockage en couche géologique profonde est une très bonne solution technique, il ne pose qu’un problème d’acceptation du public. Les seuls incidents à redouter sont à considérer pendant les 100 ou 150 ans d’exploitation du stockage (introduction des déchets), mais sont parfaitement maîtrisables, car assimilables à ceux d’une installation nucléaire classique en exploitation (incendie, inondation, ventilation, etc.).
Après la fermeture du stockage en couche profonde, les premières sorties d’activité à l’exutoire arriveront dans environ 200 000 ans à doses très faibles. Serons-nous encore là ? Arroserons-nous encore nos salades avec l’eau de la source concernée ? Rappelons que notre civilisation (Cro-Magnon) n’a que 50 000 ans et que celle qui nous a précédés (Néandertal) a duré 250 000 ans.
Le démantèlement des installations nucléaires reste encore prudent. Mais on sait déjà que cette activité ne pose pas de problème technique. En la développant nous serons aptes à exporter notre savoir-faire car le nucléaire est appelé à se développer dans le monde. Ce n’est d’ailleurs pas un problème pour les centrales qui, sauf accident, n’affichent que des radioéléments à vie courte, mais plutôt pour les labos de recherche ou usines de retraitement qui manipulent des radioéléments à vie longue. Mais là aussi on sait faire et, au total, on sait juger des bonnes dispositions relatives aux doses radiologiques prises par les intervenants et aux caractéristiques des déchets radioactifs produits destinés au stockage définitif.
Concernant la crainte de volumes importants générés par le démantèlement des installations nucléaires, cette crainte est effectivement fondée si les opérations de démantèlement tardent à démarrer après l’arrêt définitif de l’exploitation, car la tentation peut être grande d’englober le plus largement possible les déchets douteux dans la catégorie TFA (Très Faible Activité), et donc d’engorger les stockages TFA gérés par l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs). Voilà pourquoi les autorités de sûreté (civile et défense) et le PNGMDR (Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs) recommandent de ne pas tarder pour engager les opérations de démantèlement et en particulier pour réaliser l’étude de définition de la zone de déchets radioactifs au plus juste quand la mémoire de l’exploitation est encore présente et que le référentiel Qualité d’exploitation (Règles Générales d’Exploitation, comptes rendus des incidents et des opérations de décontamination, des réparations, cahiers de quart, comptes rendus d’inspections, etc) est encore vivant et disponible.
Le démantèlement se prépare dès la conception (brèches dans le Bâtiment Réacteur, …) et l’exploitation (corpus Qualité solide). Un tel exercice à la fin de la période d’exploitation est de nature à éviter la multiplication des volumes de déchets TFA et la contestable tentation de libérer une partie d’entre eux dans le domaine public.
Sur cette question du seuil de libération, il ne faut pas revenir sur la doctrine française : nous avons réussi au début des années 2000 à évacuer cet argument, agité, à relativement juste titre car un contrôle radiologique à 100 %, ça n’existe pas (sauf dans des cas très particuliers de fonte de métaux), par les opposants au nucléaire (retrouver dans le domaine public des objets radioactifs). Il serait absurde de leur redonner aujourd’hui un angle d’attaque inespéré. Le recyclage à toute force est peut-être une idée à la mode mais il faut se méfier des fausses bonnes idées.
La balle est chez vous, messieurs les décideurs !
EPR Réacteur pressurisé européen
RNR Réacteur à neutrons rapides
BR Bâtiment réacteur
MOX Combustible à base d’oxyde mixte d’uranium et de plutonium
PNGMDR Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs
TFA Très faible activité
RGE Règles générales d’exploitation
ANDRA Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs
Illustration : ANDRA, centre de stockage de l’Aube