Naarea, une start-up française, développe un microréacteur nucléaire utilisant des sels fondus. Malgré les nombreux avantages de cette technologie, il reste quelques défis à affronter avant la mise en service.
La start-up française Naarea a réalisé « une première mondiale » dans la course aux microréacteurs nucléaires de quatrième génération à neutrons rapides et à sel fondu. C’est un petit pas encourageant pour la France, même si ce n’est pas encore un grand bond pour l’humanité.
La société Naarea
La société Naarea (Nuclear Abundant Affordable Resourceful Energy for All) a embauché son premier employé en 2022. Elle vient de réaliser une innovation importante en faisant tourner un sel fondu à 700°C dans une boucle entièrement en carbure de silicium contenant du graphène. Cette avancée est une étape préliminaire pour permettre la mise au point d’un petit réacteur nucléaire modulaire.
Selon Naarea, cette céramique en carbure de silicium qui résiste à la corrosion est idéale pour le cœur d’un petit réacteur en production de masse.
Le carbure de silicium est déjà utilisé dans l’industrie, notamment dans les moteurs de fusées et les satellites. Ce matériau a l’avantage de pouvoir être synthétisé et usiné en France et d’être abondant et recyclable. Il résiste mieux que l’acier inoxydable aux températures extrêmes.
La société Naarea, lauréate de l’appel à projets « Réacteurs Nucléaires Innovants », bénéficiant d’une enveloppe de 500 millions d’euros du plan d’investissement « France 2030 », développe un petit réacteur nucléaire de quatrième génération.
Sa technologie repose sur de nouveaux types de sel fondus produisant de l’énergie à partir de combustibles nucléaires usagés, d’uranium appauvri, et de plutonium.
L’îlot nucléaire, dont le poids lui permet d’être transportable par des moyens conventionnels, tient dans un volume équivalant à un conteneur de la taille d’un autobus (un conteneur traditionnel de 40 pieds). Il pourra produire 40 mégawatts (MW) d’électricité ou 80 MW de chaleur.
Selon Naarea, ce micro réacteur « permettra la fermeture complète du cycle du combustible nucléaire, le Graal absolu ! ».
Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres…
Selon Jean-Luc Alexandre, président et cofondateur de l’entreprise :
« Le projet Naarea est né du constat que les besoins croissants en énergie et en électricité bas carbone font du nucléaire une solution incontournable […]. La demande électrique mondiale sera a minima multipliée par quatre entre 2020 et 2050. Quand nous avons analysé les 17 objectifs de développement durable (ODD), fixés par les Nations unies, nous nous sommes rendu compte que tout ramenait à l’énergie d’une manière ou d’une autre, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la faim dans le monde ou de la biodiversité ».
À partir de ce constat a été fondée l’entreprise Naarea pour construire ce microréacteur nucléaire afin de fournir une électricité stable et bas carbone pouvant remplacer les énergies fossiles presque partout dans le monde.
Sans eau et presque sans déchets
Le refroidissement du système, qui fonctionnera à pression atmosphérique, s’affranchit de l’eau aujourd’hui utilisée pour refroidir les grands réacteurs actuels plus puissants, et la turbine est entraînée par du CO2 « supercritique » (permettant un rendement d’environ 50 %).
N’étant pas astreint à la proximité d’une rivière ou d’une mer, ce module prévu pour être fabriqué en série en usine pourrait être installé sur n’importe quel îlot industriel sécurisé répondant aux normes de sécurité Seveso, avec peu de génie civil.
De plus, il permet d’éliminer les déchets les plus radioactifs de haute activité à vie longue (HAVL) dont la durée est de plusieurs centaines de milliers d’années en les consommant. Ce microréacteur les transforme en produits de fission dont la durée de vie radioactive serait d’environ 250 ans, plus facilement gérables.
Ces microréacteurs pourraient donc venir en complément des réacteurs actuels à eau pressurisée de troisième génération en consommant leurs « résidus ».
Un jumeau numérique
Naarea s’appuie sur un « jumeau numérique » de leur microréacteur, une plateforme digitale collaborative qui offre une représentation du réacteur en 3D permettant d’en faire fonctionner les composants et de mesurer des paramètres inaccessibles dans le monde réel. Il sert également d’outil de démonstration en matière de sûreté et de sécurité, auprès notamment de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) en France et d’autres autorités internationales.
C’est aussi un outil pédagogique et de formation qui accélère la conception du réacteur en facilitant la collaboration.
Les responsables de Naarea ne souhaitent pas vendre la technologie de leur réacteur, mais uniquement son usage.
L’entreprise met en avant sa volonté d’être « concepteur, fabricant et exploitant » pour devenir un fournisseur d’énergie (chaleur et/ou électricité) aux consommateurs isolés (îles, déserts électriques, …), ou souhaitant décarboner leurs productions.
Naarea et le nucléaire recrutent
Aujourd’hui, l’écosystème nucléaire en France a besoin de 100 000 personnes sur les dix prochaines années, soit 10 000 recrutements par an.
Naarea contribue à cette dynamique en accueillant des personnes venant d’horizons divers et en les intégrant à la filière nucléaire pour bénéficier d’une « fertilisation croisée » en adoptant les meilleures pratiques des autres secteurs pour s’en nourrir mutuellement.
Le but est de produire des centaines de réacteurs en série en utilisant l’impression en 3D pour la fabrication du cœur et des pièces. Cette approche est économiquement viable en production de masse. C’est d’autant plus réalisable sur des pièces de petite taille : le cœur du réacteur est de la taille d’une machine à laver.
Ce microréacteur répond aux mêmes exigences de sécurité et de sûreté que les centrales nucléaires traditionnelles. La réaction de fission est intrinsèquement autorégulée par la température (si elle augmente, la réaction diminue) afin que le réacteur soit toujours dans un « état sûr » grâce aux lois de la physique.
Étant de plus télécommandé à distance, ce microréacteur pourra être neutralisé (« suicidé ») pour contrer un acte malveillant.
Une mise en service en 2030 ?
Naarea travaille sur une maquette à échelle un qui devrait être prête d’ici la fin de 2023. Elle continue à embaucher à un rythme soutenu : elle vise 200 employés à la fin de cette année, et 350 l’année prochaine où un démonstrateur fonctionnel devrait voir le jour.
Naarea envisage un prototype opérationnel autour de 2027-2028 pour une mise en service en 2030.
De nombreux autres petits réacteurs modulaires sont actuellement en développement dans d’autres pays pour répondre à l’énorme demande énergétique future afin d’atteindre l’objectif zéro émission à l’horizon 2050. Certains d’entre eux ont une puissance de 250 à 350 MW, plus adaptés pour de petits réseaux électriques, mais pas pour les besoins spécifiques des industriels et de petites communautés dans des lieux isolés.
Ces microréacteurs pourront répondre à des usages décentralisés de sites industriels ou à l’alimentation de communautés isolées.
Selon le président de Naarea :
« Un réacteur de 40 MW permet de produire de l’eau potable pour environ deux millions d’habitants en dessalant de l’eau de mer, d’alimenter 2700 bus pendant une année […] ou une centaine de milliers de foyers en énergie ».
Nouveaux besoins, nouveau marché mondial
L’entreprise russe Rosatom propose aux Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud), et notamment aux pays d’Afrique et d’Asie, de petites centrales nucléaires flottantes ou à terre, clés en mains, avec tous les services associés (fabrication du combustible, entretien, et retraitement du combustible usagé) à un prix compétitif.
La Russie utilise l’argent de son gaz et du pétrole pour financer son expansionnisme nucléaire et politique.
Nul besoin d’une infrastructure industrielle préexistante : la Russie s’occupe de tout, de la fourniture des équipements à la formation du personnel. Son offre inclut aussi le financement (crédit total) de l’opération. Les pays acheteurs n’ont donc rien à débourser initialement. Ils ne paient que l’électricité ou un remboursement annuel.
Rosatom a ainsi écarté la France du marché des grandes centrales nucléaires en Afrique du Sud où elle était pourtant bien implantée, puisque les deux premiers réacteurs nucléaires en Afrique (deux fois 900 MW) ont été construits par Framatome. C’est aussi le cas au Vietnam et dans d’autres pays.
Pourtant, la France est le seul pays au monde (autre que la Russie et bientôt la Chine) à pouvoir proposer pour l’instant une offre complète incluant le combustible et le retraitement.
Les États-Unis ne retraitent plus leur combustible nucléaire, ni pour eux-mêmes ni pour l’exportation, depuis 1992.
Une carte maîtresse
La France a donc une carte maîtresse à jouer dans le domaine des microréacteurs pour nouer de nouveaux liens privilégiés utiles pour l’avenir.
En effet, les pays qui achètent des centrales nucléaires deviennent dépendants du vendeur pendant des décennies pour leur approvisionnement en électricité.
Le vendeur et l’acheteur doivent donc rester « amis » et deviennent des partenaires privilégiés pour d’autres contrats de construction d’infrastructures civiles (aéroports, ponts, autoroutes, génie civil, équipements publics…) ou militaires, et ce pendant près d’un siècle (construction, durée de vie de la centrale nucléaire supérieure à 60 ans, et déconstruction).
Pour autant, nos dirigeants ne répondent pas, ou maladroitement et de manière incomplète, aux demandes et aux besoins des pays voulant accéder au nucléaire.
La Russie, la Corée du Sud et la Chine s’empressent de combler à leur avantage la demande de coopération nucléaire à laquelle la France répond mal. Elle rate de belles opportunités nucléaires, mais aussi diplomatiques et politiques, pour établir des liens durables avec de nombreux pays en les aidant à développer leur parc nucléaire.
De plus, son offre n’est parfois pas compétitive par rapport à celle de la Russie qui, elle, inclut le financement.
À noter que l’offre des Russes comprend aussi la formation dans leurs écoles d’ingénieurs d’un excellent niveau à Moscou, mais aussi à Tomsk en Sibérie, et dans une demi-douzaine d’autres villes. Des milliers de futurs opérateurs et d’ingénieurs nucléaires en herbe des Brics arrivant dans ces écoles apprennent aussi le russe. Un jour, ils apprendront peut-être le français en France, ou chez eux ?
Un foisonnement de compétences
Compte tenu des contraintes techniques et administratives à surmonter, la date annoncée par Naarea pour la mise en service de leur premier réacteur en 2030 est probablement (très ?) optimiste.
Toutefois, ce foisonnement de compétences et de talents dans ce nucléaire innovant doit être encouragé, surtout en France, même si c’est un projet qui ne sera transformé industriellement que dans 30 ans, 50 ans ou… 100 ans.
Dans l’intervalle, de jeunes ingénieurs s’enthousiasmeront, et c’est bien !
Et ces nouveaux talents qui forgent ce microréacteur nucléaire de quatrième génération peuvent bénéficier d’une conjoncture internationale favorable, d’une réglementation simplifiée, et de soudaines avancées technologiques et découvertes.
Nul n’est à l’abri d’un coup de chance !
Sinon, ces ingénieurs et techniciens pourront toujours ensuite se recycler dans le nucléaire « classique » des puissants réacteurs EPR (ou RNR) pour succéder à la génération précédente ayant développé l’extraordinaire parc nucléaire qui fonctionne parfaitement aujourd’hui en France, et pour encore des décennies.
2 réponses
Comme écrit dans l’article ce type de réacteur ne sera pas en service avant longtemps. D’autant que le réacteur seul ne suffit pas, il faut boucler le cycle : fabrication du combustible, retraitement, traitement des déchets…opérations nécessitant aussi des appareils de types nouveaux.
Le SMR à eau EDF Nuward est plus avancé. Il bénéficie de plus du cycle du combustible existant.
Bien d’accord, mais 100% des gagnants ont tenté leurs chances!