(Par Michel Negynas dans Contrepoints du 16/6/24)
Comment faut-il le dire ou l’écrire ? Comment argumenter, alors que c’est tellement simple à comprendre ?
Avant 2015, en France, on n’avait quasiment pas de panneaux solaires et pas d’éoliennes. On avait du nucléaire, de l’hydraulique, des stations de pompage/stockage, et un peu de gaz et des restes de charbon. En Europe, la France était de loin l’un des pays où l’électricité était la moins chère et émettait le moins de gaz à effet de serre (après les pays comme la Norvège, peu peuplés et riches en hydraulique). En 2012, on a battu le record de production, à 102 GW. On pouvait encore améliorer ça à la marge, en arrêtant le charbon et installer un peu de gaz.
On peut alors se poser une question très simple : pourquoi fallait-il absolument changer la situation ?
Lorsque la question est posée aux institutions, comme par exemple lors de la précédente consultation sur la Programmation pluriannuelle de l’Énergie, il y a toujours le même élément de langage qui est servi, et qui a même été repris plusieurs fois par le président de la République.
« Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, et avoir des filières de secours en cas de risque systémique sur le nucléaire »
Cet argument est absurde : le solaire et l’éolien sont intermittents et aléatoires, en aucun cas ils ne peuvent secourir une filière qui, par ailleurs, a alimenté les Français sans problèmes depuis 40 ans. Car on ne le répétera jamais assez : il y a des nuits d’hiver sans vent sur toute l’Europe. Il suffit de consulter « eCO2 mix » (RTE) ou « Energy charts » (Fraunhofer) pour le constater.
Ce qui compte, c’est d’avoir un réseau pilotable à tout moment, et dimensionné pour assurer la totalité des besoins à la pointe (en général une nuit d’hiver froide). Cela résulte du caractère physique de l’électricité : à tout instant, l’offre doit égaler la demande. On doit construire des kW pilotables, (la puissance) et les kWh (l’énergie) suivront.
D’ailleurs, à long terme, à combien compter la puissance installée en éolien et en solaire ? La plupart des pays la compte quasiment à zéro. À titre d’exemple, avec 158 GW de solaire et d’éolien, l’Allemagne a gardé 86 GW de puissance pilotable (charbon, lignite, gaz, hydraulique, fioul, biomasse…) pour une consommation à la pointe d’un peu plus de 80 GW.
Une autre antienne entendue souvent : c’est trop long de construire du nucléaire, donc dépêchons-nous d’ériger des éoliennes et des panneaux, car c’est rapide. Oui, mais ça ne change rien quand il n’y a pas de vent la nuit !
Alors, finalement, à quoi ça sert ?
Sur le plan économique
On voit une convergence des coûts entre le nucléaire et l’éolien, de l’ordre de 80 euros/MWh, encore qu’il faudra regarder de près les coûts de maintenance de l’éolien en mer. Pour le solaire, on est encore à 110 euros/MWh, malgré le dumping des chinois.
Mais on ne peut comparer un MWh pilotable à un MWh fatal et intermittent. Il faudrait sans doute affecter à sa valeur sa probabilité de faire défaut à tout instant d’un horizon temporel donné (on a vu qu’à très long terme, elle est certaine). Rappelons d’ailleurs que lorsqu’on veut comparer les investissements, le MWh nucléaire est bâti pour 60 ans ou plus, l’éolien et le solaire pour 30 ans, au mieux. Et le rapport entre investissement (les GW) et production (les GWh), est de 90 % pour le nucléaire, 25 % pour l’éolien et 12 % pour le solaire…
On ne voit donc pas d’intérêt économique aux ENR intermittentes en France. Pire, leurs caractéristiques de variabilité va, à terme, nous imposer des centrales pilotables spécialement dédiées pour suivre cette variabilité. Bref, on va investir deux fois : une fois en moyens pilotables (y compris stockage, si un jour c’est possible, ce dont on peut douter), une fois en ENR.
Les moyens pilotables étant indispensables, les ENR apparaissent comme un surinvestissement. Elles rapporteraient si leur coût complet par MWh (investissement plus exploitation) était inférieur au coût marginal des moyens pilotables. Comme ceux-ci sont à majorité nucléaires, leur coût marginal (maintenance et combustible) est très faible. L’intérêt économique des ENR est donc très faible, voire nul.
Pire, tout kWh produit par les ENR ne sera pas produit par les centrales pilotables. Celles-ci, produisant moins, rentabiliseront moins bien leurs investissements, et leur coût complet par MWh augmentera. Pour les contribuables et les consommateurs, c’est la double peine !
Sur le plan environnemental
Le bilan est catastrophique. Les émissions de CO2/MWh sont de 6 g pour le nucléaire et l’éolien, plus de 30 g pour le solaire, si on tient compte des émissions à la construction. Il n’y a donc pas de gain en matière climatique.
Et c’est bien pire en consommation de matière. D’abord à cause du doublement effectif de l’investissement, mais surtout à cause du caractère diffus de la production des ENR et de l’intermittence.
Non seulement il faut géographiquement plus de câbles, de postes haute tension etc. mais en plus ils sont mal rentabilisés, puisqu’on installe des capacités quatre ou dix fois ce qu’elles vont vraiment transporter par rapport aux moyens centralisés pilotables. Que d’acier, de cuivre, de matériaux composites, de béton gaspillés !
Un sujet technique dans le champ politique
Le sujet est technique et factuel. Contrairement aux débats de choix de société, pour lesquels il n’existe pas de réponse rationnelle, le choix de notre mix énergétique devrait rejoindre le champ du factuel et du réel ; or, les quelques arguments ci-dessus sont sans appel : avec du nucléaire, nul besoin d’énergies intermittentes. Et même sans nucléaire, il est facile de montrer que les énergies fossiles demeurent indispensables : l’Allemagne en est l’exemple criant.
Il est extrêmement dommageable pour la politique qu’un sujet technique devienne clivant. Les gagnants à terme seront ceux qui auront défendu ce que le mur des réalités ne manquera pas de démontrer. Indépendamment de leurs propositions politiques et sociétales, qu’on les approuve ou pas.
Dès lors, il est important de se poser une question très simple, encore et encore : pourquoi fallait-il absolument changer ce qui nous allait très bien ?