Contre toute attente, la France a produit trop d’électricité, notamment renouvelable, par rapport à la demande. Les prix sont donc passés sous la barre du zéro à de multiples reprises. Ce phénomène montre l’immensité des défis que pose la transition énergétique, à commencer par l’accélération de l’électrification de nos transports et nos industries, mais aussi l’adaptation de notre consommation à ces nouveaux moyens de production intermittents.
Au secours, on produit trop d’électricité ! Depuis le début de l’année, nous sommes en train de battre un record discret mais très révélateur des défis que fait peser la transition énergétique. Pendant 340 heures, nous avons produit trop d’électricité par rapport à la demande. Si ce chiffre peut paraître faible, il dépasse en fait largement le précédent record, datant seulement de 2023 avec 147 heures. Et cela, rien que pour les neuf premiers mois de l’année. Nous avons même dépassé le niveau atteint pendant le confinement. Puisque l’offre dépasse la demande, cela entraîne sur le marché des prix négatifs de l’électricité, en-dessous de zéro. Cela signifie que le producteur accepte de vendre son énergie à perte. Pour le consommateur, à terme, cela pourrait se traduire par des hausses de prix afin de compenser ces pertes.
“Ce phénomène de prix négatifs existe depuis longtemps mais il était limité au pont du 15 août ou aux fêtes de fin d’année, à des moments de très faible consommation d’électricité, explique à Novethic Mathieu Pierzo, directeur des marchés pour RTE, le gestionnaire du réseau électrique. Désormais, on constate qu’il prend de l’ampleur notamment l’été, lorsque la production des énergies renouvelables peut être très forte et que la consommation en face est plus faible”. En 2024, de telles situations ont ainsi été rencontrées régulièrement, l’après-midi et le week-end, à partir d’avril, explique RTE dans son bilan semestriel.
Consommer “mieux”
Ce déséquilibre entre l’offre et la demande est le résultat du passage à l’échelle des énergies renouvelables, et en particulier du solaire. Au cours du premier semestre 2024, 2,1 gigawatts (GW) supplémentaires ont été raccordés, contre 1,4 GW au cours de la même période de 2023. La production d’électricité d’origine solaire photovoltaïque s’est ainsi élevée à 12,1 térawattheures au cours du premier semestre de l’année 2024, en hausse de 8% par rapport à la même période en 2023. Du côté de l’éolien, on peut noter la mise en fonctionnement du parc éolien en mer de Fécamp en mai dernier.
“En parallèle de cette production d’électricité décarbonée à la hausse, la consommation d’électricité, elle, a baissé contrairement à ce qu’on imaginait, parce qu’on ne va pas assez vite sur l’électrification des usages, notamment dans le transport et l’industrie”, déplore Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting. “On sait produire de l’électricité décarbonée, maintenant il va falloir l’utiliser”, ajoute-t-il. “Il faut électrifier oui, mais surtout déplacer les moments de consommation pour s’adapter à la production d’énergies renouvelables qui sont moins pilotables”, complète Mathias Lafont, délégué général adjoint de l’Union française de l’électricité.
Cela implique notamment de revoir le schéma historique des heures pleines/heures creuses, bien ancré au sein de la population, mais qui ne tient plus dans un mix contenant des renouvelables, quand le pic de production du solaire par exemple se produit en plein après-midi.
“Les consommateurs pourraient être incités à recharger leurs ballons d’eau chaude ou leurs véhicules électriques en journée plutôt que la nuit. Cela permettrait d’optimiser les coûts du système et donc de réduire le volume d’électricité perdue”, soutient auprès de Novethic Jérémy Simon, délégué général adjoint du Syndicat des énergies renouvelables.
Dans un avis publié sur le sujet en mars dernier, l’Ademe appelle ainsi non seulement “à consommer moins”, mais aussi à “consommer mieux.” Un travail qui en est encore à ses balbutiements. En parallèle, l’adaptation du réseau, le déploiement de nouvelles lignes d’interconnexions avec d’autres pays européens et de solutions de stockage sont également des pistes qui sont mises à l’œuvre.
La faute aux renouvelables ?
Alors que la part des énergies renouvelables dans le mix électrique français devrait passer de 19% en 2021 à près de 50% en 2035, le phénomène des prix négatifs est appelé à s’amplifier, au moins à court-terme, prédit Jérémy Simon.
“Mais ce n’est pour autant qu’il faut stigmatiser la production des énergies renouvelables, s’empresse-t-il d’ajouter. Nous sommes face à un phénomène transitoire et conjoncturel appelé à disparaître à moyen terme.”
Par ailleurs, les énergies renouvelables peuvent aussi jouer un rôle dans “l’équilibrage du système” et “rendre des services au système car elles sont pilotables à la baisse”, pointe Nicolas Goldberg. En effet, en cas de surplus d’offre, les réacteurs nucléaires seront plus difficiles, long et coûteux à mettre à l’arrêt, contrairement à un parc d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques qui peuvent être coupés et redémarrés en quelques minutes seulement. Désormais, dans les contrats de rémunération d’énergies renouvelables, il y a d’ailleurs une obligation de s’arrêter pour les producteurs en cas de prix négatifs et une indemnisation est versée.
“Cet été, nous avons dû activer ce mécanisme d’urgence et demander à des parcs éoliens et solaires de grosse puissance s’arrêter à six reprises”, confirme Mathieu Pierzo de RTE.
Et la tendance n’est pas limitée à la France, elle est généralisée à toute l’Europe, et en particulier aux pays super producteurs d’énergies renouvelables comme l’Allemagne et l’Espagne, avec plus de 7 800 heures de prix négatifs comptabilisés entre janvier à août 2024 sur le continent. Et autant d’énergie perdue. De quoi susciter un immense sentiment de gaspillage à l’heure où les énergies renouvelables suscitent toujours la polémique.
“Ce qu’on peut retenir au contraire, conclut Mathieu Pierzo, c’est que nous sommes au rendez-vous de la production d’électricité décarbonée”. ■
(NDLR : Novethic est un organisme très pro-énergies renouvelables)
2 réponses
Non seulement la « production décarbonée » n’a aucun intérêt pour le climat mais elle perturbe la production et le réseau. Il faut cesser de dépenser de l’argent inutilement et nocivement.
Dans la période janvier-août 2024, il y a 5856 heures (24h/j * 30,5 j/mois * 8 mois). Comment peut-il y avoir « plus de 7800 heures de prix négatifs comptabilisés » ?